Pourquoi la théorie des Aryens et de leurs migrations est historiquement erronée ?
Par Carine Mahy
Les
Aryens ont été proposés au XIXe siècle pour expliquer ce qui était
considéré comme des changements culturels dans l’Inde antique au IIe
millénaire avant notre ère. Le Veda, texte sacré indien, rédigé en
sanskrit, leur avait été attribué, faisant d’eux des Indo-européens
venus de l’ouest. A la lumière des connaissances historiques et
archéologiques modernes, cette théorie aryenne est dépassée et il est
nécessaire de revoir nos connaissances sur la Haute Antiquité du nord
de l’Inde
D'où vient le terme Aryen ?
Il n’y a jamais eu de peuple aryen tel que défini à l’époque moderne. Cette approche a été créée au XIXe siècle.
C’est dans les hymnes du Rig Veda, la partie la plus ancienne du Véda, qu’apparaît le terme Arya.
Cependant, il désigne des êtres qui combattent des démons aux
côtés des dieux et non une population terrestre historique. Ces combats
ne correspondent pas à des guerres réelles, mais plutôt à des
affrontements mythologiques.
Le terme Arya serait à comprendre comme un sous-groupe dans la société dans laquelle est né le Véda. Arya
n’est donc pas un mot ethnique à l’origine, mais il a une valeur
cultuelle et culturelle lié à l’Inde, terre du Véda. Il pourrait
désigner les tribus indiennes qui accordent la prééminence au dieu
Indra et ou une groupe, peut-être une élite, social, économique ou
religieux.
Les textes védiques ne fournissent aucune mention explicite, ni aucune
allusion sur une éventuelle migration ou conquête de territoire que les Arya
auraient entreprise. Ce silence s’observe également dans les sources
tamoules (dravidiennes), l’autre grande tradition littéraire de l’Inde
antique.
Il ne semble d’ailleurs pas y avoir eu de conflit culturel ou militaire
entre les auteurs deux traditions au cours de la Haute Antiquité
indienne, comme la théorie aryenne moderne le suggère.
Les chevaux des Aryens
L’attestation
du cheval en Inde a longtemps été associée à l’arrivée de ces
migrations aryennes sur ces terres. Les Aryens étaient présentés comme
des cavaliers nomades conquérant de nouveaux territoires et ayant
importé avec eux cette monture, inconnue jusqu’alors des indigènes.
Si les chevaux sont bien attestés dans la culture de la société
illustrée dans le Véda, leur présence sur le sol indien est plus
ancienne que la datation généralement admise pour l’élaboration de ces
textes sacrés.
En effet, ce mythe du cheval importé au IIe millénaire avant notre ère
a été infirmé par la découverte archéologique de la présence de chevaux
sur des sites de la Vallée de l’Indus dès le IIIe millénaire avant
notre ère. Ces sites sont caractéristiques de la civilisation urbaine
de l’Indus (dans l’actuel Pakistan).
Dans de nombreux domaines, les travaux archéologiques mettent de plus
en plus en lumière une continuité culturelle et sociétale entre la
Civilisation de l’Indus, aussi appelée Harappéenne (du nom de l’un des
premiers sites découverts), et les installations humaines du nord de
l’Inde au IIe millénaire av. n. ère. Et ce bien que l’écriture de
l’Indus ait disparu en même temps que la chute des sites urbains.
Les bouleversements qui furent à l’origine de cette chute sont encore
mal connus, mais ils semblent provenir de l’intérieur et non d’une
invasion extérieure. Un changement climatique assez brutal, amenant la
sécheresse dans cette région, pourrait notamment avoir joué un rôle
dans la disparition de la civilisation urbaine de l’Indus.
Et chez les Perses et autres peuples iraniens ?
Dans l’Avesta, le texte sacré de l’Iran ancien qui partage un fonds commun avec le Veda, le terme Airiia
apparaît également. Son usage désigne bien un peuple dans cette
tradition littéraire. Cependant, il ne s’agit pas d’une population
énigmatique, mais simplement le peuple des pratiquants de l’Avesta,
c’est-à-dire les Iraniens, qui se désignent eux-même sous cette
appellation. Airiia devrait donc simplement être traduit par Iranien et non par Aryen dans le contexte avestique.
Ces derniers n’ont pas immigré en masse vers l’Inde afin d’y introduire
et y imposer une nouvelle culture, une nouvelle religion et une
nouvelle langue.
L’histoire de la proximité culturelle et des influences entre ces deux
traditions est plus complexe que la théorie initialement construite par
les chercheurs modernes du XIXe siècle, et encore largement inconnue.
En effet, les contacts et échanges ont sans doute eu lieu dans les deux
sens.
Conclusion
Les
langues parlées dans l’Iran et le nord de l’Inde antique, telles que le
sanskrit ou le vieil iranien, appartiennent au même groupe linguistique
des langues indo-européenne de l’Est (les langues indo-iraniennes). Il
y a, à l’évidence, des liens étroits et très anciens entre ces
civilisations, avec le partage de nombreux éléments culturels, y
compris la langue (dont les formes les plus anciennes pourraient
peut-être être considérées comme deux dialectes d’une même langue),
mais la manière dont ces interactions se sont élaborées est encore très
obscure.
Langue et ethnie sont deux notions bien distinctes, qu’il ne faut pas
confondre. Il suffit de penser à l’emploi largement répandu du latin
pendant la période médiévale ou de l’anglais aujourd’hui. Les locuteurs
indo-européens de l’Antiquité étaient fortement hétérogènes.
Pistes
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