Mithra : les racines d'un dieu indo-iranien
devenu romain
Par Carine Mahy
De
l’Inde à l’Anatolie, en passant évidemment par la Perse et l’Asie
Centrale, Mithra est une divinité solaire majeure de l’Antiquité
orientale, qui connu un nouveau succès dans l’Empire romain. Titulaire
d’un culte initiatique en Occident, il n’a pas toujours été honoré de
cette manière par ses fidèles.
Mithra romain est actuellement mis à l’honneur à travers l’exposition
« Le Mystère Mithra » du musée royal de Mariemont (jusqu’au
17 avril 2022). Cet article propose de faire découvrir les origines de
ce dieu depuis la Haute Antiquité anatolienne, perse et indienne, et la
construction progressive de son identité et de ses attributions.
Première mention de Mithra dans l'Histoire
C’est dans un traité de paix entre l’Empire hittite de Souppiluliuma et le royaume du Mitanni de Satiwaza au XIVe
siècle avant notre ère, que le dieu Mithra est mentionné pour la
première fois. Il apparaît parmi les dieux témoins du traité pour
le Mitanni, accompagné de Varuna, Indra et les Nasatya.
Le Mitanni
étaient une entité politique hourrite, qui a existé pendant environ
deux siècles (XVIe-XIVe s. av. n. ère) dans une région correspondant
approximativement au Kurdistan actuel. Le traité dont il est question
ici instaure aussi un lien de vassalité du Mitanni vis-à-vis du pouvoir
hittite.
Par ailleurs,
hors du Mitanni, la diaspora hourrite est bien attestée dans le sud de
l’empire hittite et dans les centres de pouvoir mésopotamiens.
Il peut paraître
surprenant de trouver plusieurs divinités védiques dans ce traité
proche-oriental. Cependant, elles ne constituent pas un témoignage
isolé de la présence d’une composante indo-iranienne au Mitanni.
En effet, le
vocabulaire hourrite comprend d’autres traces similaires, proches du
sanskrit. Celles-ci semblent présenter un caractère archaïque,
cohérent avec la chronologie mitannienne antérieure à la mise par écrit
du Rig Veda.
En outre,
certaines personnes figurant dans la documentation mitannienne, portent
aussi des noms en lien avec le Véda. C’est par exemple le cas de
Bedarta (dont la loi est le Véda), Bedaššura (héros du Véda),
Indaruta (qui est aimé d’Indra), Mittar[xx]atti (hôte de Mitra),
ou encore Kalmaššura (héros du karma).
Si les
témoignages linguistiques sont essentiels pour identifier ces
interactions culturelles entre les Hourrites et des Indo-iranniens, il
n’en reste pas moins que la nature de celles-ci sont actuellement
encore obscures. D’où venait cette minorité culturelle, à quelle époque
la rencontre a-t-elle eu lieu, comment s’est-elle intégrée à la société
hourrite pour gagner en visibilité, y a-t-il eu ou non un conflit
initial lors de leur arrivée ? Les réponses à ces nombreuses
questions sont encore à découvrir.
Mitra védique
Dans
le Véda, et plus particulièrement le Rig Veda (hymnes et prières aux
principales divinités), la composante la plus ancienne de la
littérature védique, Mithra forme un couple complémentaire avec Varuna.
Mentionnés ensemble, les deux divinités sont les opposées l’une de
l’autre.
Le nom de Mitra signifiait Alliance en sanskrit. Mitra était le dieu de
l’amitié. Il est associé au feu (Agni), devant lequel les alliances
étaient conclues.
Alors que Mitra étaient un dieu de la lumière, Varuna était un dieu de
l’obscurité. Il était craint par les hommes en raison de son caractère
violent (tandis que Mithra était l’ami des hommes). A l’opposé du
feu de Mitra, Varuna est associé à l’élément eau, qui lui vaudra de
devenir le dieu de l’Océan dans l’hindouisme.
Mithra / Mihr dans l'Avesta
L’Avesta est
le texte sacré du mazdéisme ou zoroastrisme, la religion des anciens
Iraniens. L’un des plus long hymnes de l’Avesta, le Mihr Yasht, qui
compte 145 strophes, présente le Mithra (Mihr) iranien sous un aspect
particulièrement guerrier. Mithra y apparaît comme le protecteur du
territoire et de ses richesses. Il est souvent qualifié de Mithra
aux vastes pâturages. De ce fait, il est bienveillant avec ceux qu’il
protège, mais il extermine les agresseurs.
Mihr a été créé par Ahura Mazda, le dieu-seigneur principal du
mazdéisme, et présentait un caractère solaire (tout en restant toujours
distinct du soleil lui-même contrairement aux affirmation de certains
auteurs grecs). Il comptait parmi les principales divinités des
Iraniens. Dieux sauveur, il était également souverain, comme Ahura
Mazda.
Son nom signifiait Contrat. En tant que personnification de ce concept,
il supervisait le respect des accords, contrats, traités et serments.
Qualifié de veilleur qui ne dort jamais, de Mithra aux milles yeux, il
ne pouvait pas être trompé.
Protecteur de ceux qui respectaient leurs engagements, ils punissait
sévèrement ceux qui les enfreignaient. Par extension, il est devenu
dieu de la guerre. Le Mihr Yasht le présente tel un guerrier conduisant
son char, tiré par des chevaux blancs (couleur de la souveraineté).
Cette dernière compétence était absente du Mitra indien, car c’était la
fonction remplie par Indra dans la tradition védique.
Le feu (Âtar) était un compagnon de Mihr. Cette association se
traduisait notamment par l’épreuve du feu, ordalie destinée à
vérifier la véracité des dépositions sous serment.
A l’époque hellénistique et au début de notre ère, Mithra iranien est
également attesté en Bactriane, mais est également de retour dans la
vallée de l’Indus (aux époques gréco-indienne et koushane, ainsi que
dans le royaume vassal sassanide qui a succédé aux Koushans).
Dans l’iconographie, il pouvait être représenté jeune et imberbe, comme il pouvait présenter une barbe et un aspect plus mature.
Les royaumes gréco-iraniens d'Anatolie
Pendant
la période hellénistique, plusieurs royaumes héritiers de l’Empire
perse achéménide dans la région, revendiquaient cette ascendance
iranienne. Cependant, ils associaient cet héritage à celui des Grecs,
présents également depuis le passage de l’armée d’Alexandre le Grand.
Les monarques de Commagène, d’Arménie et du Pont mettaient
particulièrement en valeur cette mixité culturelle dans l’exercice de
leur fonction et dans leur propagande.
Ainsi, par exemple, plusieurs souverains de ces royaumes ont porté le
théonyme de Mithridate, signifiant don de Mithra, donné par Mithra.
Le roi Antiochos Ier de Commagène a représenté Mithra sur plusieurs
bas-reliefs et statues. Les plus célèbres ont été mis au jour sur le
site de son mausolée funéraire du Nimrud Dagi, dans le cadre montagneux
du Taurus. Le dieu portait un costume typiquement iranien, mais était
assimilé en même temps à plusieurs divinités d’origine grecque :
Apollon, Hélios et Hermès.
En outre, des inscriptions retrouvées dans des sanctuaires de Commagène
mentionnent un même dieu sous le nom d’Apollon en grec et de Mithra en
langue iranienne, illustrant cette assimilation systématique.
Des
six rois portant le nom de Mithridate du Pont, le dernier est le plus
célèbre, notamment pour avoir combattu les Romains. Il a sans doute
reçu une éducation mixte, grecque et avestique. Il semble que
l’éclairage avestique permet d’expliquer certains de ses comportements
qui semblaient obscurs au regard de la tradition classique.
C’est par exemple le cas de la mort qu’il a réservé au romain Aquilius,
qu’il considérait comme l’un des principaux responsables de la guerre.
En effet, il lui aurait fait versé de l’or fondu dans la bouche. La
même exécution avait été imposée à Crassus par les Parthes (royaume
iranien contemporain des Romains et ennemi majeur de ceux-ci). Plus
qu’un simple assassinat, dans la tradition mazdéenne, cette mort
correspond à une ordalie figurant dans le Yasna (la première partie de
l’Avesta), et donc à un jugement.
Le massacre organisé des Romains italiques de la province d’Asie
pourrait également être compris comme un meurtre collectif rituel.
Mithridate VI a orchestré la « cérémonie » en lançant
l’opération par une lettre royale prévoyant le moment auquel ces
assassinats devaient avoir lieu, identique dans l’ensemble de la
province. Cette date correspondait à l’équinoxe de printemps, Newruz
(Jour Nouveau), une fête importante du calendrier mazdéen marquant le
renouvellement purificateur.
Rôle de l'Anatolie dans la formation du Mithra romain
L’Anatolie
hellénistique, et particulièrement la Cilicie, semblent avoir joué un
rôle important dans l’évolution du dieu Mithra vers sa forme romaine.
Dans la pratique
romaine, le culte de Mithra est initiatique. On parle de culte à
Mystères. Cela signifie qu’il n’est accessible qu’aux dévots ayant
suivi un rituel particulier, avant de pouvoir rejoindre une communauté
mithriaque. Ce culte mithriaque est également caractérisé par un lien
étroit avec l’astronomie et l’astrologie (disciplines peu dissociables
dans l’Antiquité).
Il est probable
que ces Mystères, absents des traditions orientales, qu’elles soient
indiennes ou perses, aient pris forme en Cilicie. La capitale
cilicienne, Tarse, est considérée comme un centre intellectuel et
philosophique important. Une forte présence de l’école philosophique
stoïcienne y a notamment été identifiée. Cette école accordait une
grande importance à l’astronomie.
En outre, sur
des monnaies de Tarse, le héros local, Persée, rend un culte à Apollon.
Ce dieu est connu pour son caractère cosmique. Et nous l’avons dit,
l’assimilation de Mithra et Apollon était bien présente dans l’Anatolie
hellénistique.
Sur d’autres
monnaies locales de Tarse, figurent parfois un lion terrassant un
taureau. Cette iconographie mésopotamienne a été popularisée
pendant la période perse achéménide. Elle fut largement diffusée en
Anatolie, mais également en Grèce pendant les guerres médiques. Elle
est particulièrement attestée en Cilicie.
Associant les
différents éléments, un lien pourrait être établit avec un événement
astronomique. En effet, lors du coucher du soleil sur l’horizon, deux
fois par an, le lion se trouve au dessus du taureau. Et selon les
astrologues antiques, la constellation du lion était le domicile du
soleil.
Le lien entre le
Soleil et Mithra était établit de longue date et l’image du lion était
présente dans le culte romain de Mithra (le grade du lion est le
quatrième dans l’initiation aux Mystères et semble avoir été
particulièrement important, des statues léontocéphales ont été
retrouvée dans des sanctuaires de Mithra romain). Parallèlement, la
scène du lion surmontant le taureau lors de l’attaque, rappelle la
disposition de la représentation de Mithra tauroctone.
Tous ces
éléments suggèrent que la Cilicie, lieu de conjonction des différents
éléments, pourrait être le berceau de l’élaboration des Mystères
mithriaques.
Conclusion
Le culte
de Mithra a connu une forte diffusion dans tout l’Empire romain à
partir de la fin du Ier s. de n. ère, bien qu’il n’ai jamais obtenu le
statut de culte officiel. Réservé aux hommes, il était pratiqué au sein
de petites communautés (il pouvait y en avoir plusieurs au sein d’une
même agglomération). Tous les milieux sociaux pouvaient se retrouver
parmi les fidèles de Mithra.
Ces communautés mithriaques se caractérisaient par une forte
hiérarchisation. Chacune était dirigé par un Père, le sommet des sept
niveaux d’initiation aux Mystères.
Le Mithra romain présentait à la fois des traits indo-iraniens, tels
que son costume iranien (tunique et pantalon large) et son caractère
solaire, mais aussi une évolution romain spécifique notamment en ce qui
concerne la scène de la tauroctonie (sacrifice rituel du taureau),
principale représentation attestée dans les sanctuaires romains. La
scène de Mithra pétrogène, montrant le dieu naissant d’un rocher,
semble inspirée du surgissement matinal de Mithra au dessus du mont
Hara, figurant dans le Mihr Yasht.
Quant aux Mystères, comme nous l’avons vu, c’est probablement une
adaptation anatolienne qui a été adoptée par les Romains en même temps
que la divinité orientale.
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