Un anneau
unique pour disparaître
Par Sébastien Polet
Platon
et Cicéron racontèrent une anecdote fabuleuse à propos d’un anneau d’or
qui
permettait à son possesseur de disparaître. Platon situa l’histoire en
Lydie au
temps de Gigès (1). Là, un berger découvrit, lors d’un violent orage,
une caverne. A l’intérieur de
celle-ci, il trouva un cheval en airain contenant un cadavre plus grand
que
celui d’un humain, qui avait dans l’une de ses mains un anneau d’or. Le
berger
s’empara de l’objet et quitta le lieu. Quelques mois plus tard, lors
d’une
assemblée des bergers, il porta l’anneau au doigt. Il orienta le chaton
de la
bague vers l’intérieur de sa main et aussitôt il devint invisible. Ses
voisins
crurent qu’il s’était absenté et parlèrent de lui comme s’il était
parti. Il
remit alors le chaton dans sa position initiale et redevint visible. Il
répéta
plusieurs fois l’opération afin de tester les pouvoirs de l’anneau. Il
se
rendit ensuite au palais. Il séduisit la reine, complota contre Gigès
et le
tua. Il s’empara alors du pouvoir royal. Platon considère cette
histoire comme
une fable et l’utilise pour digresser sur les notions de justice et
d’injustice.
Cicéron
(2) s’inspira du récit de Platon. Mais cette fois, ce fut Gigès qui
descendit dans
la caverne alors qu’il était encore berger d’un roi non nommé. Gigès
testa
aussi l’anneau et entra au palais. Il y viola la reine, puis obtint son
aide
pour éliminer le roi. Grâce au pouvoir de l’anneau, Gigès devint roi de
Lydie.
Les
commentateurs modernes s’intéressèrent à cette fable. Elle permettait
sans
doute de converser à propos du pouvoir et de la justice. Elle servit
sans doute
à expliquer l’accession au pouvoir de Gigès, ancêtre du célèbre Crésus
et
fondateur de la dynastie des Mermnades. Robert Baccou, qui traduisit et
commenta la République de Platon,
s’étonna qu’un tel récit ne fut pas raconté par Hérodote (3),
qui était friand d’histoires incroyables. Le « père de
l’Histoire »
et Nicolas de Damas évoquèrent la vie de Gigès, mais ne décrivirent pas
le
célèbre anneau. Robert Baccou proposa donc que le Gigès de Platon (et
donc de
Cicéron aussi) n’était pas le célèbre roi de Lydie, mais un homonyme
(4).
Il est aussi envisageable que la création du récit se situe entre
l’époque
d’Hérodote et celle de Platon. Le célèbre philosophe peut également
être
considéré comme l’inventeur probable de cette histoire. En effet,
Platon
n’hésitait pas à créer des fables pour expliquer ses théories
philosophiques : mythe de l’Atlantide, caverne des ombres…
Il
est malheureusement impossible de savoir si John Ronald
Reuel Tolkien prit connaissance de ces deux récits lors de
ses études au King’s College d’Oxford où lorsqu’il enseigna dans cette
même
université. Le célèbre écrivain se consacra à l’étude de la littérature
scandinave médiévale. Platon et Cicéron ne figurent pas dans les sagas
islandaises, mais il n’est pas impossible que leurs œuvres aient été
consultées
par J. R. R. Tolkien. Un anneau faisant disparaître son
possesseur se
retrouve aussi dans l’œuvre de Chrétien de Troyes (Yvain ou
le Chevalier au lion).
Notes
1. PLATON,
La République, II, 359.
2. CICERON, Les
devoirs, III, 37-38.
3. HERODOTE,
Histoires, I, 13.
4. R.
BACCOU, Platon. La République,
introduction traduction et notes, Paris, 1966, note 43.
Pistes bibliographiques
- CICÉRON, Les Devoirs,
introduction, traduction et
notes par S. MERCIER, Paris, 2014 (Classiques en poche, n°113).
- HÉRODOTE, Histoires,
Livres I, Clio, trad. Ph.-E. LEGRAND, 6e tirage,
Paris, 1993 (C.U.F.).
- PLATON, La
République, trad. R. BACCOU, Paris, 1998 (GF).
- M. SARTRE, L'Anatolie
hellénistique de l'Égée au Caucase (334-31 av. J.-C.), Paris, 2003 (Collection
U).