La diversité des Arabes dans l'Antiquité
Par Carine Mahy
S’il
est une partie du monde antique particulièrement méconnue, il s’agit
bien de la péninsule arabique, et plus globalement des populations
arabes préislamiques. En effet, certains groupes arabes de l’Antiquité
vivaient aussi hors de la péninsule, en Syrie et Mésopotamie.
Qui étaient les Arabes de l'Antiquité : aspects linguistiques et religieux
Le cadre
géographique de la péninsule ne suffit pas à définir un ensemble
homogène arabe, puisque d’autres populations ont vécu dans cette
région, notamment des Cananéens (tels que les Edomites, les Ammonites,
les Moabites). Par ailleurs, comme on l’a précisé des groupes arabes
sont aussi attestés en Syrie et Mésopotamie, comme par exemple les
Safaïtes ou encore les Arabes de Palmyrène ou de la région d’Emèse
(l’actuelle Homs).
Comment, dès
lors, définir ces Arabes de l’Antiquité ? Cette appellation regroupe
une importante diversité de populations, dont certains vivaient dans un
modèle de société urbanisé, tandis que d’autres avaient un mode de vie
nomade. Certains étaient organisés en royaumes, tandis que d’autres
semblent ne pas avoir été soumis à une autorité autre que celle de la
tribu.
Les éléments
communs à l’identité arabe sont avant tout des facteurs culturels et
linguistiques. En effet, il existe deux groupes de langues arabes : le
nord-arabe et le sud-arabe, réunissant les différents langages arabes
antiques attestés principalement par l’épigraphie. Le sud-arabique
appartient au groupe des langues sémitiques sud (comme l’éthiopien) et
inclus les langues des royaumes du sud de la péninsule (Saba,
Hadramaout, Qataban, Ma’in). Le nord-arabe, quant à lui, appartient au
groupe des langues sémitiques occidentales (comme le cananéen et
l’araméen). Parmi les langues nord-arabes préislamiques, on compte le
nabatéen, le lihyanite, le safaïtique, le thamoudéen, etc. L’arabe
classique et les différentes formes arabes dialectales modernes
appartiennent aussi au groupe linguistique nord-arabe. Les langues
arabes antiques sont conservées grâce à plusieurs écritures
alphabétiques, dont le nabatéen (dérivé de l’alphabet araméen) et
l’alphabet sud-arabique.
Un facteur
culturel majeur rapprochant cette diversité de populations arabes
antiques se trouve dans le domaine religieux. Les Arabes de l’Antiquité
étaient polythéistes. Si chaque groupe disposait de divinités qui lui
étaient propres, plusieurs dieux et déesses sont néanmoins attestés
assez largement chez plusieurs peuples arabes. La principale déesse
était Allat (al-Lat), dont le nom désigne la Déesse par excellence.
Elle était déjà mentionnée par Hérodote au Ve siècle avant notre ère et
a compté parmi les divinités arabes les plus importantes pendant les
premiers siècles de notre ère. On lui connait notamment un temple à
Palmyre (Syrie), ainsi qu’un autre dans le Wadi Ram (Jordanie). Elle
est également bien attestée parmi les inscriptions de la péninsule
arabique.
Al-Lah (al-Ilah) était l’équivalent masculin d’Allat, le dieu par
excellence. C’est de ce nom divin impersonnel que dérive celui d’Allah.
Il est également attesté dans les inscriptions de plusieurs groupes
arabes (dont les Thamoudéens, les Safaïtes, les Lihyanites).
Les Arabes possédaient également des divinités solaires (par exemple
Elagabal à Emèse, Shams à Palmyre, Douchara chez les Nabatéens) et des
divinités guerrières (par exemple Azizu à Palmyre). Certaines divinités
étaient invoquées et honorées pour la protection des troupeaux et pour
le bon déroulement des entreprises commerciales, deux activités
majeures des populations arabes antiques. C’est par exemple le cas de
WD, dieu minéen (Arabie du sud) qui est attesté le long de la route
caravanière de l’encens et qui devait entretenir un lien avec ce
commerce. Des sacrifices sanglants, souvent de chamelles et de
chameaux, étaient offerts au dieu lihyanite D-GBT.
Des commerçants sur terre et sur mer
La péninsule
arabique était principalement peuplée dans les régions côtières en
raison de la présence d’un vaste désert occupant l’intérieur de
celle-ci. Plusieurs peuples et royaumes arabes étaient donc tournés
vers l’extérieur et ont développé des activités commerciales,
caravanières ou maritimes. C’est par exemple le cas des Nabatéens dans
le nord de la péninsule (actuelle Jordanie et Arabie Saoudite), ou
encore des royaumes sud-arabiques (correspondant principalement à
l’actuel Yémen). Ces deux peuples ont contrôlé la route caravanière
traversant la péninsule du sud au nord, et mieux connue sous
l’appellation de « route de l’encens ». En effet, le sud de la
péninsule arabique était l’une des rares régions à produire la résine
aromatique tant recherchée dans le monde méditerranéen et
proche-oriental, pour les cérémonies cultuelles, funéraires ou pour la
fabrication de parfums. Le commerce de l’encens constituait donc la
principale richesse des royaumes de l’Arabie du sud.
A l’époque
hellénistique, puis romaine, le commerce maritime entre l’Egypte et
l’Inde s’est développé, positionnant l’Arabie du sud au centre de cet
itinéraire. Alors que la route caravanière fut de moins en moins
fréquentée, les royaumes sud-arabiques se sont adaptés en développant
des ports commerciaux pour l’exportation de l’encens, ainsi que pour le
ravitaillement des navires.
Les populations
du Golfe persique étaient elles aussi centrées sur les échanges
lointains, et ce dès l’âge du bronze ancien. La région est mentionnée
dans les sources mésopotamiennes en tant que partenaire commercial sur
le réseau maritime (pays de Dilmun et de Magan) mettant en relation le
sud de la Mésopotamie avec la vallée de l’Indus. Si la langue de la
civilisation de Magan (culture du IIIe millénaire av. n. ère aux
Emirats arabes unis) n’est pas connue et ne peut donc pas être
considérée comme arabe avec certitude, le rôle majeur de ce peuple dans
les échanges commerciaux entre la Mésopotamie, l’Iran et la
civilisation de l’Indus est bien attesté par le mobilier archéologique.
A partir de l’époque hellénistique (IIIe s. av. n. ère), cette même
région a livré la preuve de l’existence d’un royaume arabique, le
royaume d’Oman.
Quelques visages du monde arabe antique
Les Lihyanites
et Dédanites vivaient dans le nord-ouest de la péninsule, autour de
l’oasis d’Al-Ula (antique Dedân), qui formait le cœur de leur royaume,
à environ 400 km au nord de Médine. La plus ancienne mention de ce
royaume semble dater du VIe s. av. n. ère. Sa disparition correspond à
la prise d’importance des Nabatéens dans la région.
L’Arabie du sud était constituée de quatre royaumes qui se sont formés
au début du Ier millénaire av. n. ère : Saba, Ma’in, Qataban et
Hadramaout. Saba, qui semble être le plus ancien de ces royaumes, a
imposé sa suprématie dans la région aux VIIe-VIe s. av. n. ère, avant
que Ma’in et Qataban imposent à leur tour leur suprématie entre le VIe
et le Ier s. av. n. ère, ayant sans doute formé une alliance
commerciale au détriment de Saba, qui les considère comme ses
principaux ennemis. Le royaume d’Hadramaout était le point de départ
des caravanes, puisque c’est dans cette région que poussaient les
olibans, arbres producteurs de l’encens. Cependant Saba, puis Ma’in
semblent avoir contrôlé la plus grande partie du commerce de cette
résine. Une confédération de tribus établie au sud de Sanaa a constitué
le royaume d’Himyar, qui s’est constitué progressivement au cours des
trois premiers siècles de notre ère et a mis fin à l’existence de
ces différentes puissances sud-arabiques du Ier millénaire av. n. ère.
Sous son autorité, pour la première fois, le sud de la péninsule fut
unifié, vers 290 de n. ère. L’Himyar s’est cependant inscrit dans la
continuité culturelle de ce prestigieux passé, adoptant la langue
sabéenne.
Les Nabatéens formaient un peuple de tradition nomade, qui a commencé à
se sédentariser et à étendre leur autorité à partir de la fin du IVe s.
av. n. ère. Le premier roi nabatéen attesté est Arétas Ier. L’extension
maximale de leur royaume, centré sur la capitale Pétra (dans l’actuelle
Jordanie), a été atteinte sous le cinquième roi, Arétas III. Hégra
(Arabie Saoudite) marquait la frontière méridionale du royaume. C’est
l’empereur romain Trajan qui conquis la région en 106 de n. ère,
profitant de la mort du roi nabatéen Rabbel II pour conquérir ses
territoires. L’empire romain s’enrichit d’une nouvelle province :
l’Arabie. Sa capitale fut établie à Bosra (Syrie), qui avait compté
parmi les cités du royaume nabatéen. La IIIe légion Cyrénaïque fut
stationnée dans cette nouvelle province. Elle est notamment attestée
dans l’épigraphie d’Hégra.
Magan ou Makkan était le nom donné par les Mésopotamiens (Sumérien et
Akkadiens) à la région de l’Arabie marquant le sud du golfe persique
(actuels Emirats arabes unis). La période d’Umm an-Nar attestée par
l’archéologie (vers 2700-2000 av. n. ère) correspond à cette
civilisation de Magan. Il s’agit d’une période marquée par
l’intensification des échanges commerciaux dans le golfe persique.
Cette culture ne semble pas avoir été urbanisée, à l’image du site de
Tell Abraq (émirat de Sharjah), qui parait avoir été un centre
important de Magan. Il présente plutôt l’aspect d’un village avec une
résidence princière (tour fortifiée) et une nécropole constituée de
tombes collectives. Outre le commerce maritime, la population vivait
aussi d’une activité agricole oasienne et de l’exploitation des
ressources en cuivre et en diorite.
Les Safaïtes tirent leur nom du désert de Safa, dans le sud de la
Syrie, région qui a livré les premières inscriptions dans leur langue.
Il s’agit donc d’une dénomination moderne dont l’usage est
conventionnel, car il ne semble pas y avoir eu un peuple unifié
politiquement correspondant à cet ensemble linguistique. Les individus
se définissent toujours par leur généalogie (parfois très longue) et
leur appartenant à une tribu. Les Safaïtes menaient une vie nomade.
Leur activité principale était l’élevage des chameaux et dromadaires,
mais aussi des chevaux et des ovins. Ils sont attestés de l’époque
hellénistique à la conquête arabe (VIIe s. de n. ère). Leur
cohabitation semble avoir été généralement pacifique avec les Romains.
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