Loin
d’être une nouveauté à l’époque de Jean de La Fontaine, les fables,
petites histoires ludiques et outils d’éducation, existent depuis la
plus Haute Antiquité. Leurs racines, comme d nombreux genres littéraires, se trouvent en Mésopotamie.
Les premières fables à Sumer
Ce sont les Sumériens, vivant dans le sud de la Mésopotamie qui ont
écrit les premières fables au IIIe millénaire av. n. ère. Ces courts
textes avaient une vocation instructive. Ils mettaient en scène de
nombreux animaux, tels que le chien, le bœuf, l’âne, le renard, le
cochon, le mouton, le lion, la chèvre, le loup, les oiseaux, les
insectes, etc.
Voici un exemple de fable sumérienne :
«
Le lion avait pris une faible chèvre. « Laisse-moi partir, et je te
donnerais un mouton, un de mes compagnons » « Avant que je ne te laisse
partir, dis-mois ton nom ! » La chèvre répondit au lion : « Ne
connais-tu pas mon nom ? Mon nom est – Tu es intelligent ! – ».
Quand le lion arriva au parc à moutons, il rugit : « Maintenant que je
suis arrivé au parc à moutons, je te relâcherai ! » Elle lui
répondit de l’autre côté (de la clôture), lui disant : « Tu m’as donc
relâchée. As-tu été intelligent? Au lieu de te donner le mouton, même
moi je ne resterai pas là ! » (1)
Les Sumériens ont aussi créé beaucoup d’autres genres de textes. Ils
sont à l’origine des premiers textes médicaux, des premiers recueils de
lois, des premières épopées, des premiers conseils agricoles, etc.
Les Hittites, peuple anatolien de l'âge du bronze (IIe mill. av. n. ère), ont également écrit des fables.
Les fables dans l'Antiquité classique
Les Grecs de
l’Antiquité ont aussi rédigé des courts récits introduisant une morale.
Le fabuliste grec le plus célèbre est Esope (2). Il vivait aux VIIe-VIe
s. av. n. ère. Comme les Sumériens, il a mis en scène des animaux, mais
de temps à autre, des personnages humains étaient également acteurs de
ces histoires.
Chez les Romains, l’auteur le plus connu est Phèdre, qui s’est inspiré
d’Esope pour écrire 123 fables. Il vivait pendant l'époque augustéenne.
Ces fables étaient rédigées en prose. A la suite du cours récit, la morale véhiculée était explicitée.
A titre d'exemple, voici deux fables qui ont directement inspiré La Fontaine :
Phèdre, Le corbeau et le renard :
Un
Corbeau avait pris un fromage sur une fenêtre, et allait le manger sur
le haut d’un arbre, lorsqu’un Renard l’aperçut et lui tint ce discours:
« De quel éclat, ô Corbeau, brille votre plumage ! Que de grâces dans
votre air et votre personne ! Si vous chantiez, vous seriez le premier
des oiseaux. » Notre sot voulut montrer sa voix ; mais il laissa tomber
le fromage, et le rusé Renard s’en saisit aussitôt avec avidité. Le
Corbeau honteux gémit alors de sa sottise.
Cette fable prouve la puissance de l’esprit d’adresse l’emporte toujours sur la force. » (3)
Phèdre, Le loup et l’agneau :
« Un
Loup et un Agneau, pressés par la soif, étaient venus au même ruisseau.
Le Loup se désaltérait dans le haut du courant, l’Agneau se trouvait
plus bas ; mais, excité par son appétit glouton, le brigand lui chercha
querelle. « Pourquoi, lui dit-il, viens-tu troubler mon breuvage? »
L’Agneau répondit tout tremblant : « Comment, je vous prie, puis-je
faire ce dont vous vous plaignez? Cette eau descend de vous à moi. »
Battu par la force de la vérité, le Loup reprit : « Tu médis de nous,
il y a six mois. — Mais je n’étais pas né, » répliqua l’Agneau. « Par
Hercule! Ce fut donc ton père, s’ajouta le Loup. Et, dans sa rage, il
le saisit et le met en pièces injustement.
Cette fable est pour ceux qui, sous de faux prétextes, oppriment les innocents. » (4)
En Inde et dans le monde arabe
En Inde, le plus ancien recueil de poésie a été rédigé entre le IIIe et le VIe s. de n. ère. Il s’appelle le Pachatantra.
Il a été rédigé à la demande d’un roi indien. Son but était d’enseigner
aux princes les principes de bonne gouvernance de manière ludique, à
travers des histoires. Dans celles-ci, lions, éléphants, taureaux,
corbeaux, hiboux, pigeons, rats, serpents, tortues et gazelles y mêlent
leurs aventures à celles des rois, princes, ministres, moines,
marchands, tisserands, barbiers, balayeurs et brigands. Il a rencontré
un très grand succès et a été traduit dans de nombreuses langues, dont
l’arabe (sous le titre Fables de Kalila et Dimna).
Et bien sûr, au XVIIe siècle, en France, c’est Jean de La Fontaine qui
illustre ce genre littéraire. Pour écrire ses fables, il s’est inspiré
des œuvres d’Esope et de Phèdre, ainsi que du Pachatantra. Ses oeuvres sont rédigées en vers, à l'inverse des récits d'Esope et de Phèdre.
(1) KRAMER (S. N.), L’histoire commence à Sumer, Paris, 1994.
(2) Les traductions des fables d'Esope sont consultables sur le site de P. Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/fabulistes/esope.htm
(3) La traduction de cette fable provient du site de P. Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/fabulistes/phedre/table.htm
(4) Idem.
(5) Paroles de bêtes (à l'usage des princes), Les fables de Kalila et Dimna :
http://www.imarabe.org/fr/expositions/paroles-de-betes-a-l-usage-des-princes