Athénodore de Tarse et l'origine du fantôme avec ses chaînes


Par Sébastien Polet
Athénodore de Tarse vécut au Ier siècle avant notre ère. Il fut l’un des grands érudits de son temps. Elève de Posidonios de Rhodes, il se consacra notamment à l’étude de la philosophie. Il fréquenta les bibliothèques et les écoles les plus prestigieuses de l’époque. Il séjourna ainsi à Rome, Pergame et Athènes. Il composa de nombreuses œuvres. Malheureusement seuls quelques fragments de celles-ci nous sont connus. Il rédigea une étude consacrée aux océans, une autre aux épidémies. Il écrivit Sur l’ardeur de la jeunesse. Il fut aussi l’auteur d’une histoire de sa cité cilicienne, Tarse. Il dédia un traité à Octave, d’influence aristotélicienne, consacré aux différentes espèces. Athénodore fut le précepteur du futur empereur lorsque ce dernier séjourna à Apollonia, en Epire. 

Mais le texte le plus connu qui traite d’Athénodore de Tarse se trouve dans les lettres de Pline le Jeune. L’écrivain romain affirme que le philosophe loua une maison hantée lors d’un séjour à Athènes. Athénodore tenta de lutter contre ce qu’il prenait pour des superstitions, mais finit par voir de ses yeux un spectre chargé de chaînes. Il suivit celui-ci jusque dans le jardin de la demeure où il disparut. Le lendemain, le savant fit ouvrir le sol à l’endroit où le fantôme s’était évanouit. Les restes d’un corps enchainés furent mis au jour. L’individu, probablement assassiné, avait été privé de sépulture. Pline rapporte qu’Athénodore le fit enterrer publiquement. Ensuite, les apparitions spectrales cessèrent.

Il est évidemment dommage de ne pas disposer du témoignage d’Athénodore lui-même. En effet, avec le temps, cette histoire s’enrichit probablement de détails pittoresques non présents dans le récit d’origine. Il est vraisemblable qu’il s’agisse plus de la résolution d’un crime que d’une affaire de maison hantée. Toutefois, le récit relaté par Pline connut une longue vie. Il inspira de nombreux auteurs jusqu’à aujourd’hui. La plupart de ceux-ci ignorent cependant souvent l’origine du mythe du fantôme chargé de chaînes. A partir de la Renaissance, de pittoresques miniatures illustrant la rencontre d’Athénodore et du spectre, furent parfois ajoutées à l’édition des Lettres de Pline le Jeune.




Traduction du texte de Pline le Jeune :

« Le philosophe Athénodore vient à Athènes, lit l'écriteau, demande le prix dont la modicité lui inspire des soupçons. Il s'informe. On l'instruit de tout, et, malgré ses renseignements, il s'empresse d'autant plus de louer la maison. Vers le soir, il se fait dresser un lit dans la salle d'entrée, demande ses tablettes, son poinçon, de la lumière. Il renvoie ses gens dans l'intérieur de la maison, se met à écrire, et applique au travail son esprit, ses yeux, sa main, de peur que son imagination oisive ne lui représente les spectres dont on lui a parlé, et ne lui crée de vaines terreurs. D'abord un profond silence, le silence des nuits ; bientôt un froissement de fer, un bruit de chaînes. Lui, sans lever les yeux, sans quitter ses tablettes, invoque son courage pour rassurer ses oreilles. Le fracas augmente, s'approche, se fait entendre près de la porte, et enfin dans la chambre même. Le philosophe se retourne. Il voit, il reconnaît le fantôme tel qu'on l'a décrit. Le spectre était debout, et semblait l'appeler du doigt. Athénodore lui fait signe d'attendre un instant, et se remet à écrire. Mais le bruit des chaînes retentit de nouveau à ses oreilles. Il tourne encore une fois la tête, et voit que le spectre continue à l'appeler du doigt. Alors, sans tarder davantage, Athénodore se lève, prend la lumière, et le suit. Le fantôme marchait d'un pas lent : il semblait accablé sous le poids des chaînes. Arrivé dans la cour de la maison, il s'évanouît tout à coup aux yeux du philosophe. Celui-ci entasse des herbes et des feuilles pour reconnaître le lieu où il a disparu. Le lendemain, il va trouver les magistrats, et leur conseille d'ordonner de fouiller en cet endroit. On y trouva des ossements enlacés dans des chaînes. Le corps, consumé par le temps et par la terre, n'avait laissé aux fers que ces restes nus et dépouillés. On les rassembla, on les ensevelit publiquement, et, après ces derniers devoirs, le mort ne troubla plus le repos de la maison ».

PLINE LE JEUNE, Lettres, VII, 27.


Pistes bibliographiques



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