L'usage du vin dans le domaine médical dans l'Antiquité


Par Carine Mahy

Le vin était abondamment consommé dans les civilisations méditerranéennes de l’Antiquité. Considéré à la fois comme danger pour la santé et comme remède, la littérature est riche de témoignages sur ce liquide et ses multiples fonctions dans le domaine thérapeutique, tant en usage interne qu’externe, tout comme des risques liés à sa consommation excessive.

Si dans les œuvres homériques, consommer du vin représentait un signe de richesse et détenir du vin de qualité était considéré comme un trésor de grande valeur, le produit de la vigne s’est quelque peu démocratisé pendant les siècles suivants, même si certains grands crus possédaient encore beaucoup de valeur. Cependant, pendant toute l’Antiquité classique, il reste perçu comme caractérisant le monde civilisé (par opposition aux peuples barbares qui ne le produisent pas et ne le consomment pas de manière ritualisée comme dans la culture grecque).


C’est dès le IIe millénaire avant notre ère, que le vin était fabriqué et consommé. Mais il n’était en principe pas bu pur. Il était normalement mélangé à l’eau, selon une concentration qui devait approcher la proportion une tiers de vin pour deux tiers d’eau, voire d’un quart de vin pour trois quart d’eau. On retrouve dans plusieurs œuvres la proportions de cinq parties d’eau pour deux parties de vin. Un mélange moitié vin, moitié eau était déjà considéré comme fortement concentré. Cette pratique pourrait avoir été instaurée, dès le début du Ier millénaire av. n. ère (ou peut-être même la fin du IIe millénaire av. n. ère ?), en réaction à l’usage du vin pur dans le Proche-Orient ancien. Le cratère, vase grec indispensable pour préparer le vin en le coupant avec l’eau, est déjà présent chez Homère.

Les Grecs connaissaient notamment les vertus toniques et antiseptiques du vin, mais aussi les douleurs de la tête et l’effet d’échauffement qu’il procure lorsqu’il est consommé en trop grande quantité. L’issue fatale que peut causer le vin, suite à un coma éthylique, était d’ailleurs mentionnée par Hippocrate.

Les philosophes cyniques en refusaient la consommation, qu’ils considéraient comme nuisible à la fois au corps et à l’esprit. Il pouvait mener à la déchéance physique, tandis que, provoquant la divagation de l’esprit, il ne permettait plus de distinguer le bon enseignement du mauvais. Les pythagoriciens sont également connus pour ne pas consommer de vin, bien que dans certaines conditions particulières ils pouvaient cependant y goûter.




Les œuvres de Galien, d’Hippocrate, de Dioscoride, d’Arétée de Cappadoce (Ier s. de n. ère) ou encore de Rufus d’Ephèse (Ier-IIe s. de n. ère) regorgent d’attestations relatives à l’usage thérapeutique du vin. Asclépiade de Bithynie, médecin du Ier s. av. n. ère, avait consacré un traité au vin. Malheureusement, celui-ci n’est pas conservé. Au IVe s. av. n. ère, le médecin athénien Mnésithée aurait déjà rédigé un Éloge du vin, cité par Athénée de Naucratis, au IIIe s. de n. ère, dans son Deipnosophistes.

Il semble que ce soit principalement dans les domaines chirurgicaux et gynécologiques que le vin a fait l’objet d’un usage particulièrement abondant, bien que des attestations très variées font également mention des organes internes ou des yeux. Le vin entre même dans la composition d’une crème dépilatoire.


Par exemple, le vin pouvait servir à saouler le patient qui devait subir une intervention chirurgicale. Par ailleurs, il était appliqué sur des plaies pour les nettoyer afin de faciliter la cicatrisation (à l’exception des blessures à la tête).

Il pouvait être conseillé d’en boire pour ses vertus diurétiques ou vomitives. Par ailleurs, il était aussi recommandé aux femmes dont les règles ne venaient pas au moment prévu. En effet, les médecins grecs pensaient que le vin jouait un rôle dans la formation du sang. Pour cette même raison, le patient pouvait se voir prescrire ce breuvage s’il était atteint d’une maladie cardiaque ou s’il devait retrouver des forces après s’être vu imposé un régime. Pour provoquer un avortement rapidement après la conception, le vin pouvait aussi être prescrit. Il entrait également dans la composition d’antidotes servant à contrer certains poisons (notamment la ciguë) ou venins d’animaux sauvages.


Mais les médecins antiques avaient déjà conscience qu’il devait être consommé avec précaution, car sa consommation excessive pouvait aussi être à l’origine de troubles et de maladies. Le trouble le plus commun provoqué par une ingestion trop importante de vin non coupé avec de l’eau, était évidemment l’ivresse. Mais son impact négatif sur le foie, tel que la cirrhose par exemple, et l’impuissance sexuelle que peuvent causer une surconsommation, étaient déjà identifiées également.  Il recommandaient de le diluer fortement s’il devait être administré à des enfants. Ils le proscrivent lorsque le patient est atteint d’une maladie touchant la tête (et l’intelligence), ou celles qui s’accompagnent de fièvre et de délires.

Les nourrices se voyaient interdire ce breuvage pendant les quarante premiers jours de l’allaitement, puisque la force du vin passait dans le lait et était dangereuse pour le nouveau né (ensuite, il lui était par contre conseillé d’en reprendre progressivement la consommation pour fortifier l’enfant).


Le dosage devait être adapté pour chaque individu et dépendait de plusieurs éléments : de la saison (il était conseillé de consommer moins de vin en été qu’en hiver), de l’âge du malade (d’avantage conseillé pour les aînés que pour les plus jeunes), de sa constitution physique, de son habitude de consommation de cette boisson lorsqu’il est en bonne santé, etc.

Outre le mélange avec l’eau, le vin pouvait être associé au miel ou au lait. Des plantes pouvaient également y être infusées. Il pouvait même entrer dans la composition de remèdes plus consistant, notamment intégré à de la farine et du fromage.


Si dans son Banquet, Platon condamne l’ivresse (en plaçant ses propos dans la bouche d’un médecin), ce n’est pas le cas des médecins grecs dont les œuvres sont conservées. En effet, ceux-ci traitent le sujet sous un angle d’observateur plus neutre. Par ailleurs, Platon interprète le vin comme un cadeau de Dionysos offert aux personnes âgées afin d’adoucir la vieillesse et d’éloigner la mélancolie en leur donnant l’impression d’être à nouveau jeunes.


Le vinaigre (vin aigre) intervenait également dans la composition de divers remèdes. A titre d’exemple, il pouvait être employé avec le natron et d’autres composés pour soigner des affections dermatologiques.


Le vin faisait donc partie intégrante de la pharmacopée gréco-romaine, tout comme, plus largement, de la culture méditerranéenne. Les recettes auxquelles il était incorporées étaient multiples. Outre la consommation sous forme de boisson (éventuellement mélangé à d’autres composants), le vin entrait dans la composition de fumigations, pouvait imbiber des compresses ou encore être intégré à une recette d’injection (utilisée dans la matrice en gynécologie).

Les emplois thérapeutiques du vin sont beaucoup plus larges que ceux auxquels on pourrait spontanément penser. Toute la science des médecins antiques était nécessaire afin de bénéficier de ses bienfaits sans en subir les conséquences néfastes pour la santé.





Pistes bibliographiques

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