Femmes et médecine dans l'Antiquité
gréco-romaine
Par Carine Mahy
L’art
médical était, comme la plupart des disciplines du savoir antique,
majoritairement pratiqué par les hommes. Cependant, les sources
antiques, tant littéraires qu’épigraphiques, nous permettent de lever
le voile sur le rôle des femmes dans ce domaine.
La pratique médicale antique nécessitait des connaissances
spécifiques, mais il n’y avait pas de règle concernant la durée des
études nécessaires pour pratiquer en tant que médecin, ni de diplôme
validant l’acquisition des connaissances.
Les médecins sont identifiés à travers les sources littéraires,
papyrologiques, épigraphiques, lorsque leur fonction de medicus /
medica est indiquée. Cela suppose une reconnaissance par la communauté
de leur savoir, de leurs compétences dans ce domaine.
Dans la mythologie
Si les divinités
masculines Asclépios / Esculape et Apollon sont célèbres pour leur
maîtrise de l’art de guérir, ils n’étaient pas les seuls à disposer de
compétences dans ce domaine.
Dans le célèbre serment d’Hippocrate, ils sont tous deux mentionnés en
tant que garants divins, mais des déesses leur sont associées. Il
s’agit d’Hygie et de Panacée. La première est la déesse de la santé et
de l’hygiène, et la seconde, sa sœur, la déesse des remèdes. Elles sont
toutes deux filles d’Asclépios / Esculape dans la mythologie.
Hygie semble apparaître plus tardivement dans la littérature grecque,
par rapport à Panacée, mais elle sera la plus populaire des deux à
l’époque romaine.
Salus, déesse d’origine italique et plus précisément sabine, était
également fille d’Esculape dans la tradition romaine. Inspirée
d’Hygie, elle était la déesse de la Santé et du Bien-être, des soins,
de la guérison et de la bonne hygiène. Elle protégeait autant les
hommes que les animaux dans ce domaine.
La première femme médecin rapportée par la tradition grecque,
probablement un personnage légendaire, a évolué dans l’Attique du IVe
siècle avant notre ère. Elle se nommait Agnodike.
A cette époque, l’exercice de la médecine était interdit aux femmes
dans cette Grèce attique. Agnodike observa que des femmes se laissaient
mourir par pudeur, plutôt que de consulter un médecin masculin.
Elle décida alors de suivre la formation médicale de l’école
d’Hérophile de Chalcédoine.
Appréciée de ses patientes, elle fut amenée devant un tribunal par ses
confrères masculins, mais fut acquittée. Elle obtint ensuite
l’abrogation de la loi interdisant aux femmes de mener une activité de
médecin. A sa suite, les praticiennes se spécialisèrent principalement
sur les maladies des femmes, mais pas uniquement.
Des femmes médecins
Les
sources littéraires, notamment Pline l’Ancien, mentionnent quelques
femmes ayant pratiqué la médecine. Certaines d’entre elles ont aussi
rédigé des ouvrages pour transmettre leurs connaissances et faire
évoluer la science médicale. Parmi elles, on peut citer Salpi de
Lesbos, Aspasia, Olympias de Thèbes, Elephantis, Métrodora Cléopâtre,
Antiochis de Tlos, Xanite, Samithra, Origenia, ou encore les sœurs
Philollène et Zinaïs de Tarsos, qui ont fondé un hôpital à Dimitrias,
et les sœurs Eutychia et Hermione, qui ont fondé un hôpital-sanatorium
chrétien, le Pandochion d’Ephèse, destiné à soigner gratuitement les
pauvres. La majorité d’entre elles étaient principalement spécialisées
en obstétrique et sur des maladies des femmes, parfois aussi en
pharmacie, même si leur pratique médicale ne se limitait pas à cela.
Certaines étaient spécialisées en dermatologie par exemple. Quant aux
remèdes développés par des femmes, ils pouvaient concerner des maladies
variées (fièvre, rage, organe douloureux...), et non pas
systématiquement liée à la santé féminine.
Une étude épigraphique, portant sur les inscriptions mentionnant des
médecins généralistes (medicus et medica) dans l’Occident romain, a
recensé la présence de quatre femmes pour soixante-cinq hommes. Si
cette proportion largement en faveur des praticiens masculins n’a rien
d’étonnant, particulièrement en contexte antique, ce travail
systématique présente l’intérêt de mettre en lumière ces quelques
femmes romaines pratiquant la médecine, dont l’épigraphie a conservé le
souvenir.
Ces quatre femmes ont exercé entre le Ier et le IIIe s. de notre ère.
Trois d’entre elles sont connues par leur épitaphe et la dernière par
un acte d’évergétisme. Elles se nommaient Flavia Hedone (Nîmes, Gaule
Narbonnaise), Mertilia Donata (évergète, Lyon, Gaule Lyonnaise) et Iula
Saturnina (Emerita, Lusitanie). Le nom de la quatrième est perdu (Gaule
Belgique).
D’autres femmes médecins ont également été identifiées dans des
inscriptions en grec, provenant des provinces orientales de l’Empire et
de Grèce même. C’est par exemple le cas d’Antiochis, figurant sur une
base de statue de l’agora de Tlos (Lycie), ou de Iulia Eutychianê sur
un document épigraphique de Dion (Grèce du nord). On peut encore citer
Augusta, mentionnée avec son mari Aurelius Gaius, également médecin,
dans une inscription de Lyaconie.
L’archéologie funéraire est également une source d’informations sur la
pratique médicale chez les femmes. En effet, plusieurs tombes féminines
ont livré du matériel lié à leur profession de médecin, éventuellement
spécialiste (par exemple ophtalmologiste, dentiste, chirurgienne),
comme pour leurs collègues masculins.
Cependant, le sexe du défunt a parfois été mal interprété par le passé,
car les chercheurs n’envisageaient pas cette possibilité de femme
médecin, et affirmait trop rapidement la masculinité du défunt sans
réelle analyse des restes humains.
Les sages-femmes : domaine de prédilection des femmes en médecine
De
nombreuses praticiennes étaient souvent limitées au domaine de
l’enfantement. C’est elle, la sage-femme (maia, maieutria ou
akestris en grec, obstetrix en latin), qui reste au chevet de la future
mère pendant le travail et lui apporte les soins nécessaires, mais
aussi un soutien psychologique. C’est elle aussi qui, la première,
prend le bébé dans ses bras à l’instant suivant sa venue au monde et
coupe le cordon ombilical.
Les textes sont silencieux sur le rôle du médecin pendant les
accouchements. Il n’est pas certain qu’il intervenait à ce moment-là
dans la plupart des cas. Le rôle de la sage-femme était donc essentiel.
Cependant, si des complications apparaissaient pendant le déroulement
de l’accouchement, elle pouvaient faire appel au médecin pour prendre
le relais, poser un diagnostic et proposer un traitement.
Le médecin Soranos d’Ephèse reconnaît la nécessité du recours aux
services des sages-femmes. Son traité, Gynaecia, et d’ailleurs destiné
à la formation de celles-ci. Cependant, elles semblent toujours agir
selon les prescriptions d’un médecin et non de leur propre initiative.
Elles n’étaient apparemment pas habilitées à prescrire des traitements
médicamenteux. Par contre, il semble que c’est elle qui avait la
responsabilité de se prononcer sur la viabilité du nouveau-né.
Dans son traité, Soranos dresse le portrait de la sage-femme idéale
selon lui. Elle devait avoir une instruction élémentaire et un esprit
vif, ainsi que de la mémoire. Elle devait aussi savoir faire preuve de
discrétion, de même que de sensibilité. Sur le plan physique, une
certaine robustesse lui est nécessaire. Elle doit rester sobre en toute
occasion, puisqu’elle ne peut pas savoir quand il sera fait appel à ses
services. D’un point de vue moral, elle ne doit pas être
superstitieuse, ni vénale (Soranos, Gynaecia, 1, 2-3).
Le corps du bébé étant très souple, ou pour utiliser l’expression du
médecin Galien de Pergame, « mou, et pour ainsi dire
coulant », ce dernier considère le rôle de la sage-femme comme
capital, lors de la réception du nouveau-né à sa sortie du corps
maternel et lors de son emmaillotement, afin de lui éviter des
malformations notamment (Galien, De morborum causis, K 7, 27) :
« Si l’on ne les manipule pas comme il faut, la forme
naturelle de chaque membre est facilement tordue et détruite ».
Cette mise en garde, au-delà de l’information médicale, laisse
transparaître une certaine méfiance, une rivalité du médecin envers la
sage-femme (l’inverse était probablement vrai également).
C’est dans ses actes à elle que le médecin cherche la cause d’une
malformation observée chez le nourrisson.
Les traités médicaux ont plus souvent tendance à mettre en exergue les
manquements observés chez certaines d’entre-elles, que
le professionnalisme de ces praticiennes. De ce fait, leur
discours a servi de base aux médecins de la Renaissance, pour appuyer
le conservatisme de la société à travers des propos culpabilisants,
moralisateurs et misogynes, en accord avec le discours religieux de
cette période, visant à maintenir les femmes dans une position
secondaire, inférieure à celle de l’homme.
La sage-femme semble avoir aussi joué un rôle important auprès des
patientes féminines, y compris dans un contexte différent de
l’accouchement. Dans le cadre de troubles gynécologiques,
elle soignait et remplissait une fonction d’intermédiaire entre la
malade et le médecin. En effet, elle pratiquait les examens
médicaux intimes et répondait aux questions du médecin sur l’état de la
patiente.
Les couples auraient eu d’avantage confiance en cette praticienne en
raison des témoignages fréquents (relatés par les sources littéraires),
concernant les comportements déplacés et l’avidité sexuelle d’un
certain nombre de médecins antiques.
D’un autre côté, il semble qu’elles aient parfois eu une mauvaises
réputation également. Elles ont été considérées comme des avorteuses,
voire presque des sorcières, aux yeux de certaines personnes. Elles ont
parfois été accusées de substitution et de trafics de nouveaux-né.
Parfois aussi, elles faisaient disparaître des enfants non désirés ou
handicapés.
Dans son Histoire romaine, Ammien Marcelin (16, 10, 18-19) rapporte
comment une sage-femme a été impliquée dans les manigances de
l’impératrice Eusébie, épouse de Constance II, pour priver le futur
empereur Julien de descendance, en provoquant la mort du premier enfant
et en ayant fait prendre une potion abortive à l’épouse de Julien (et
sœur de Constance), à l’insu de celle-ci, lors d’une grossesse
suivante.
Une partie des sages-femmes étaient lettrées et recevaient une
formation théorique à travers la lecture des traités médicaux
relatifs à la santé des femmes. Elles avaient ensuite la charge de
former celles qui ne savaient pas lire. C’est pour leur faciliter
l’accès à la connaissance qu’au VIe s. de n. ère, le médecin Muscio a
réalisé une traduction latine du traité de Soranos.
Dans le cadre d’actions judiciaires, elles pouvaient être appelées à
témoigner en tant qu’expertes. Par exemple, dans le Digeste (25, 4) du
juriste Ulpien (fin IIe-début IIIe s. de n. ère), il est précisé que
trois sages-femmes étaient choisies par le prêteur dans le cas de
divorces dans lesquels la femme niait être enceinte, afin de de
confirmer ou d’infirmer l’existence d’une grossesse.
Le représentant de l’autorité romaine allait ensuite se ranger à
l’opinion de la majorité de ces expertes.
Les stèles inscrites, comme pour les medica, documente l’identité de
plusieurs sages-femmes antiques. Parmi elles, Scribonia Attice a fait
réaliser un bas-reliefs en terre cuite illustrant une scène
d’accouchement. La parturiente y est représentée assise sur une chaise.
La sage-femme est représentée assise sur un tabouret bas face à la
femme enceinte, tandis qu’une assistante se trouve derrière cette
dernière, appuie sur le haut du ventre, probablement pour aider lors de
la poussée. Cette représentation a été découverte à Ostie (Latium,
Italie).
Les nourrices : soignantes des enfants
L’importance de
la sage-femme est mise en parallèle avec celle de la nourrice (trophos
en grec, nutrix en latin). Cette dernière prend le relais de la
première et s’occupe du jeune enfant dès sa naissance et pendant
plusieurs années. Elle se charge du bain du nouveau-né, qui n’entre pas
dans les fonctions de la sage-femme.
Des responsabilités lui sont donc attribuées également dans
le développement physique des bébés, si elles ne le portent pas ou
ne l’emmaillotent pas dans les règles. Elles ont donc un lien avec
le domaine des soins, bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler
d’une fonction médicale.
Les médecins gréco-romains acceptent sans jugement moralisateur le
recours à une nourrice, comme alternative à l’allaitement maternel.
Soranos, s’il considère que la mère en bonne santé est la mieux placée
pour allaiter son enfant, estime aussi que l’allaitement provoque le
vieillissement prématuré des femmes. Pour illustrer ce fait, il établit
un parallèle avec la terre qui s’épuise suite aux cultures.
Ces médecins insistent, par contre, sur la nécessité d’un choix
rigoureux de la nourrice à qui l’enfant est confié, pour des raisons
médicales.
Notons que ces nourrices romaines pouvaient être payées pour remplir
cette tâche, mais dans bon nombre de familles aristocratique romaines,
il pouvait s’agir d’une esclave acquise spécifiquement dans le but
d’assurer ce rôle. Les nourrices grecques étaient également de
condition servile.
Les médecins hippocratiques soulignaient déjà le risque que la nourrice
pouvait faire peser sur la santé du bébé, par la transmission de
maladies, si la qualité de son lait n’était pas optimale.
Galien estime, lui, que les nourrices devaient s’abstenir d’avoir des
relations sexuelles et d’être enceinte pendant qu’elles avaient en
charge un enfant à allaiter. Si cela advenait, ou si la nourrice
tombait malade, il était recommandé aux parents d’en choisir une autre.
Notons que pendant les premières années de vie, la nourrice est la
soignante principale de l’enfant et pas seulement celle qui le nourrit.
La problématique de emmaillotement des bébés par les nourrices est
abordée par Galien, qui signale que certaines serrent plus fort le
thorax des filles que celui des garçons, afin de tenter de modeler leur
corps pour des raisons esthétiques. L’objectif étant que les hanches
apparaissent nettement plus larges que le haut du corps.
Il met en garde contre les malformations causées par cette pratique
suite à l’ignorance des nourrices concernées. Il semble donc que
celles-ci ne bénéficiaient par d’une formation destinée à l’acquisition
des bonnes pratiques liées à leur métier, contrairement aux
sages-femmes.
Outre les questions liées à la santé et qui viennent d’être abordées,
la nourrice représentait le premier maillon dans l’éducation des
jeunes enfants, et ce dès la période grecque.
Elle s’occupait du sevrage de l’enfant, c’est-à-dire le passage à une
alimentation solide. Elle se chargeait de le laver et lui apprenait
l’autonomie. C’est elle aussi qui se levait la nuit, pour répondre aux
pleurs du nourrisson, et le promenait le jour. Ensuite, elle
surveillait ses jeux.
Les propos qu’Eschyle place dans la bouche de la nourrice d’Oreste
(Choéphores, 749-) reflètent les soins quotidiens que cette femme
remplissait auprès du petit enfant.
La nourrice semble avoir été plus estimée au sein de la
civilisation grecque, que dans le monde romain. Plusieurs dieux et
héros grecs avaient bénéficié de l’éducation d’une nourrice selon les
mythes et hymnes qui sont parvenus jusqu’à nous.
L’exemple le plus emblématique est peut-être Zeus, confié par sa mère à
la nymphe Néda, afin d’être élevé en secret, loin de son père
Cronos, mangeur de sa progéniture. Apollon fut également élevé par des
déesses autres que sa mère Léto. Dionysos fut, lui aussi, confié à des
nymphes par son père Zeus. Mais cette fois-ci, c’est la nécessité
causée par le décès de sa mère qui en fut la cause. L’Odyssée rapporte
qu’Ulysse a été confié à sa nourrice Euryclée dès qu’il a vu le jour.
Enée a été confié aux nymphes par sa mère Aphrodite.
Cependant, la nourrice grecque ne semble pas avoir allaité le bébé, à
l’exception de certains enfants divins et héroïques. Il semble plutôt
qu’un partage des tâches autour de l’enfant ait été organisé entre la
mère et la nourrice. Alors qu’une délégation plus complète des soins
apportés au jeune enfant, sont perceptibles à l’époque romaine.
Les Romains, eux craignaient que le recours à une nourrice étrangère à
la domus, au foyer familial, distende les liens d’affection entre
l’enfant et sa mère. Cependant, ils ont largement utilisé les services
des nourrices malgré cela. Celles-ci pouvaient s’occuper simultanément
de plusieurs enfants d’une même fratrie.
En tout état de cause, c’est seulement après que la nourrice ait
rempli sa mission éducative et de soins, que l’enfant pouvait être
confié à un pédagogue (masculin) pour le suivre dans d’autres
apprentissages et dans l’acquisition de connaissances nécessaires, pour
lui permettre ensuite de tenir sa place dans la société.
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A propos de la place des femmes dans l'Antiquité, lire aussi "Femmes lettrées de la Mésopotamie antique".