Que sait-on de la formation des médecins et des conditions de leur pratique à l'époque romaine impériale ?


Par Carine Mahy
La discipline médicale et sa pratique sont bien attestées dans les sources antiques, qu’elles soient littéraires ou épigraphiques.
Mais que sait-on sur la formation de ces médecins romains ? Existait-il des écoles de médecine à Rome ou dans les grandes villes de l’Empire ? Combien de temps était nécessaire pour l’apprentissage de la médecine à cette époque ?
Après avoir étudier la médecine, dans quels cadres ces généralistes et spécialistes romains pratiquaient-ils ?
Cet article va tenter de répondre à ces quelques questions.

L’épigraphie atteste que les médecins romains appartenaient autant à la catégorie des citoyens romains qu’à celle des esclaves et des affranchis (anciens esclaves ayant été libérés par leur maître). Tout le monde pouvait donc acquérir des connaissances médicales et ensuite exercer auprès des patients, malades ou blessés.
Un certain nombre d’entre eux étaient d’origine grecque et ont, d’ailleurs, laissé des inscriptions dans cette langue, y compris dans des provinces romaines de langue latine. Comme d’autres professionnels tels que des rhéteurs, avocats, philosophes, ils pouvaient mener une carrière itinérante. C’est particulièrement vrai pour les médecins militaires.
Les praticiens de cette discipline étaient généralement bien perçus par la société et mentionnaient donc avec fierté leur titre sur les inscriptions qu’eux-mêmes ou leur famille faisaient graver. Il pouvait s’agir d’épitaphes ou encore de dédicaces religieuses.
Dans ce second cas, les médecins honoraient des divinités traditionnelles gréco-romaines, et particulièrement souvent des divinités guérisseuses et sauveuses (comme Esculape ou Apollon par exemple). Ils considéraient sans doute que l’aide divine pouvait leur être utile pour assurer la guérison de leurs patients.

Le fait que des médecins aient pu financer la réalisation d’inscriptions suggère qu’ils étaient assez aisés, bien que n’appartenant pas aux classes supérieures de la société romaine. La pratique médicale devait donc figurer parmi les métiers rentables à l’époque impériale romaine. Pour les affranchis, il s’agissait en outre d’un ascenseur social.



Les écoles de médecine romaines

Galien de Pergame, le célèbre médecin de langue grecque, qui a vécu sous les règnes des empereurs romains Marc Aurèle, Commode et Septime Sévère, nous informe sur la formation des médecins romains (medicus) dans la capitale de l’Empire.
Cet enseignement se serait tenu dans le temple de la Paix au IIe s. de n. ère. La durée de cette formation n’est pas connue, mais ne devait probablement pas être très longue ; dans la majorité des cas, peut-être quelques années ?
Toujours selon Galien, Thessalus de Tralles prétendait pouvoir former un médecin en six mois. Cependant, cette durée n’était sans doute pas représentative. En effet, Galien avait, lui, consacré douze ans de sa vie à se former. La durée courante d’étude pour un médecin romain devait donc se situer quelque part entre ces deux extrêmes.

L’épigraphie des provinces romaines occidentales pendant le Haut Empire atteste de plusieurs autres centres de formation des médecins : Pax Iulia, l’actuelle Béja, Cordoue, la colonia Patricia, et à Metz. L’archéologie suggère également l’existence d’une école de médecine à Rimini.


Médecine privée ou médecine publique ?

La majorité des médecins de cette période exerçaient à titre privé, bien qu’il existait également des médecins publics (l’un d’eux est attesté par une inscription à Cordoue, tandis qu’un passage de Strabon suggère que des médecins publics devaient pratiquer à Marseille).
La médecine publique était, par contre, une pratique très courante dans le monde grec hellénistique et romain.

Certains médecins exerçant à titre privé avaient développé leurs compétences dans une spécialité particulière. Parmi ces spécialités, on peut mentionner l’ophtalmologie ou la chirurgie par exemple.
Ces médecins privés recevaient leur patients à leur domicile ou dans un local externe, prévu à cet effet. Ces cabinets pouvaient revêtir l’allure de petits commerces ouverts sur la rue (tabernae medicae).


Dans la législation

La responsabilisation du médecin dans les actes qu’il posait, afin d’assurer une plus grande sécurité au patient, s’est fait sentir dès le Ier s. av. n. ère, dans le monde romain. En effet, en 81 avant notre ère, le dictateur Sylla a fait voter la loi Cornelia de sicarris et venericciis (Digeste, 48, 8), qui condamnait les assassins et les empoisonneurs, y compris ceux qui s’étaient rendus coupable d’une tentative d’assassinat, à la peine de mort ou à l’exil, avec confiscation de leurs biens.
Elle impliquait le médecin, au même titre que tout autre citoyen, en cas de mort d’un patient. En particulier, s’il avait employé des remèdes qui pouvaient être considérés comme des poisons (ou s’il les avait fabriqué, sans les administrer lui-même), et peut-être aussi s’il avait usé de magie.
L’application de cette loi a, par la suite, mené à la condamnation des femmes qui avaient avorté, en particulier ces actes avaient été réalisés sans l’accord du père de famille (pater familias). Des opérations de castration et de circoncision (exception faite pour les Juifs, qui avaient le droit de la pratiquer) ont aussi été condamnées dans le cadre de cette législation.



Infirmeries et hôpitaux (gréco-)romains


Iatreion, valetudinarium, xenodocheion* sont autant de termes qui étaient utilisés, dans l’Antiquité, pour désigner des locaux destinés à accueillir des malades en vue de les traiter.

Dans le monde grec, l’iatreion semble avoir constitué une sorte de maison médicale, dans laquelle un patient qui avait besoin de soins, pouvait séjourner plusieurs jours. Par exemple, des opérations chirurgicales pouvaient y être pratiquées.

A l’époque romaine, il existait des valetudinaria, sortes d’infirmeries, civils et militaires. Les valetudinaria civils pourraient avoir été des établissements publics, mais il semble qu’ils n’étaient pas très courants et en tout cas de taille assez modestes.
Il est à noter que des infirmeries de ce type ont existé également au sein des grands domaines agricoles, afin de soigner les esclaves qui travaillaient dans ces exploitation rurales. La motivation des propriétaires privés de ces installations étaient économique : assurer la santé du personnel, soigner leurs blessures, afin de leur permettre d’assurer leur rôle dans le fonctionnement de la villa, et ce dans les meilleures conditions possibles.

Les valetudinaria militaires étaient établis dans les camps de l’armée romaine. Présents dans les camps permanents, par exemples ceux établis sur les frontières (limes), il pouvait aussi s’agir d’installations mobiles qui suivaient le mouvement des troupes. L’archéologie a fourni des exemples de ces installations en Écosse, en Allemagne et en Suisse.
Il est probable que les valetudinaria permanents disposaient d’un jardin, dans lequel étaient cultivées des plantes médicinales.

Le xenodocheion était, quant à lui, une sorte d’auberge destinée à accueillir des voyageurs dans la tradition byzantine, mais qui semble avoir pu, par extension, remplir des fonctions médicales. Ces établissements ont vu le jour dans le contexte de la charité chrétienne, soucieuse d’aider ceux qui en avaient besoin. Ils pourraient être rapprochés des hôpitaux, hôtels Dieux médiévaux.



Les médecins militaires

Des médecins pouvaient être liés à des sociétés ou institutions spécifiques, telles que des entreprises exploitant des mines ou des écoles de gladiateurs par exemples. D’autres pratiquaient la médecine au sein de l’armée. De rares privilégiés pratiquaient la médecine au service de l’Empereur. L’attachement d’un praticien à une famille régnante existait déjà pendant la période hellénistique.

Dans l’armée,  il semble que chaque légion ait bénéficié d’une dizaine de médecins, tandis que chaque cohorte auxiliaire aurait pu compter sur un seul médecin selon une hypothèse courante. En effet, les chercheurs considèrent souvent qu’un médecin de l’armée romaine s’occupait en moyenne d’environ cinq cents hommes.
Cependant, des ajustements pouvaient être nécessaires afin d’assurer, par exemple, la présence d’un médecin dans chaque camp. Il est également possible que les effectifs médicaux aient été plus importants en temps de guerre qu’en temps de paix.
C’est l’empereur Auguste, qui décida d’intégrer des médecins dans chaque unité militaire.




Pistes bibliographiques

ANGELES ALONSO M., « Fuentes literarias y epigráficas para el estudio de los valetudinaria urbanos en el mundo romano », dans Classica & Christiana, t. 9/1, 2014, p. 11-34.

DANA M., « Les médecins dans les provinces danubiennes », dans Revue des Études Anciennes, t. 118 /1, 2016, p. 99-123.

DAVIES R. W., « The Roman Military Medical Service », dans Saalburg Jahrbuch, t. 27, 1970, p. 84-104.

DUVAL P. M., « Médecins et médecine de Gaule », dans Travaux sur la Gaule (1946-1986), Rome, 1989 (Publications de l'École française de Rome, 116), p. 1163-1173.

FAURE P., REMY B., Les médecins dans l’occident romain, Pessac, 2010 (Scripta Antiqua, 27).

GOUREVITCH D., « Présence de la médecine rationnelle gréco-romaine en Gaule », dans Revue archéologique du Centre de la France, t. 21/3, 1982, p. 203-226.

OLMER F., « La médecine dans l’Antiquité : professionnels et pratiques », dans Sociétés et représentations, n°28, 2009, p. 153-179.

REMY B., « Les inscriptions de médecins découvertes sur le territoire des provinces de Germanie », dans Revue des Études Anciennes, t. 98/1-2, 1996, p. 133-172.

WILMANNS J. C., Der Sanitätsdienst im Römischen Reich. Eine sozialgechichtliche Studie zum römischen Militärsanitätswesen nebst einer Prosopographie des Sanitätspersonals, Hildesheim, Zurich, New York, 1995.




Retour Haut de page