A l’heure où la naturothérapie rencontre un succès grandissant, il est intéressant de s’interroger sur les connaissances que les Anciens avaient des substances fournies par la nature et de leurs bienfaits supposés ou avérés pour soigner les malades.
Une science pharmacologique s’est progressivement développée au cours de l’Antiquité. Des médecins ont composé les recettes de nombreux remèdes destinés à répondre aux besoins des malades et blessés qu’ils rencontraient. La gestion de la douleur ou la cicatrisation des plaies faisaient notamment partie de ces nécessités. Certains extraits de leurs traités ou mentions de leurs compositions nous sont parvenus et documentent la grande variété de composants naturels et dont les effets étaient déjà bien identifiés.
Dans cette série d’articles consacrés aux médicaments issus de la nature, nous nous concentrerons particulièrement sur l’Antiquité classique, grecque et romaine, qui fournit le plus de témoignages dans ce domaine. Mais si des informations intéressantes complètent cette thématique pour une autre période, par exemple l’Égypte pharaonique ou la Haute Antiquité mésopotamienne, nous en ferons également mention.
Déjà à l’époque sumérienne, une tablette de Nippur atteste de l’utilisation des plantes à des fins thérapeutiques. Elle est datée vers 2200 av. n. ère et est connue sous le nom de pharmacopée de Nippur. Elle contient à la fois une liste de plantes médicinales et des remèdes issus d’animaux et de minéraux.
Dans le domaine végétal, y sont notamment mentionnés la jusquiame, la ciguë, le saule, le thym, le poirier, le figuier, le palmier-dattier, la rue et l’huile de cèdre. Concernant le monde minéral, le scribe cite le sel, le salpêtre et l’argile de rivière. En ce qui concerne les composants animaux, ce sont le lait, mais aussi les écailles de tortue et peaux de serpents qui sont listés. Malheureusement, les maladies ou maux auxquels ces préparations étaient destinées ne sont pas précisés. Cependant, d’autres sources postérieures sont plus précises sur cet aspect.
La tablette ne fait aucune mention des incantations et autres pratiques religieuse destinées à soigner les patients. Cependant, la magie et la religion avaient bien leur place dans la perception sumérienne de la maladie et de la guérison (voir l'article Amulettes et magie), comme en témoignent de nombreux autres textes.
D’autres textes cunéiformes complètent ces informations et nous fournissent plus de détails. Par exemple, l’encens et la myrrhe pouvaient être utilisés comme analgésique, de même que l’écorce et les feuilles du saule. Si cela était insuffisant, des drogues plus fortes comme la mandragore, la jusquiame, le chanvre/cannabis et le pavot (opium) étaient déjà employés.
En Égypte, le papyrus Ebers, daté autour de 1600 av. n. ère (Nouvel Empire) et provenant de Thèbes, constitue le corpus le plus volumineux sur les connaissances médicales de la période pharaonique. Y sont mêlés plus de sept cents formules magiques et remèdes divers. Plus précis que la tablette sumérienne, dans le papyrus, l’auteur précise les doses des composants dans les recettes, ainsi que les durées de traitement nécessaires. Le lien entre pharmacie / médecine et pratiques religieuses est très présent.
Ce document, comme d’autres pharmacopées égyptiennes, témoignent de la volonté de transmettre les connaissances acquises par empirisme.
Cependant, la difficulté majeure en ce qui concerne les substances végétales utilisées dans la médecine égyptienne tient au fait que de très nombreux spécimens de la flore mentionnée dans les textes ne sont pas identifiés avec certitude du point de vue de la traduction du vocabulaire.
Parmi les végétaux bien compris et connus, on peut néanmoins citer l’acacia nilotica, le sycomore, le pin parasol, le figuier, le jonc ou encore le genévrier.
Concernant l’Antiquité classique, vers 100 av. n. ère, Crateuas, le médecin de Mithridate VI Eupator, roi du Pont, fut le premier à établir une liste de plantes utiles pour soigner. Son ouvrage se nomme le Rhizotomicon.
A sa suite, Dioscoride, médecin, pharmacologue et botaniste qui vécut pendant la période julio-claudienne, a rédigé un traité intitulé De Materia Medica. Dans cet ouvrage, il énumère plus de quarante remèdes qu’il a élaboré. De nombreuses plantes, fleurs et même des fruits entrent dans leur composition. Et leur valeur va bien au-delà des fibres qu’ils peuvent contenir.
Ainsi, parmi les nombreuses végétaux aux vertus thérapeutiques, on peut par exemple mentionner :
- l’aneth utilisée comme sédatif
- l’écorce de saule dont les effets étaient similaires à l’aspirine (antipyrétique, désinfectant, antiseptique, analgésique)
- le lys appliqué comme pansement
- le ricin pour son effet laxatif
- le fenouil employé pour sa caractéristique diurétique
- la marjolaine utilisée contre les maux d’estomac
- la grenade pour lutter contre le tænia
- le pavot utilisé pour traiter la douleur
- le lupin cuit pour lutter contre la gangrène ou les affections de la rate
- la figue, qui avait des applications notamment dans le domaine gynécologique
Pour obtenir une forme de sédation nécessaire à certaines interventions
de chirurgie ou de dentisterie, afin de soulager autant que possible la
douleur du patient, le chanvre et l’opium pouvaient entrer dans la
composition d’une décoction dès la Haute Antiquité mésopotamienne.
Dans ce même but, les médecins romains enivraient leurs patients à
l’aide de vin auxquelles d’autres substances pouvaient être associées.
Parmi celles-ci, on recense la belladone et le suc de pavot (effet
antidouleur et anesthésiant), la jusquiame (effet stupéfiant,
narcotique), ciguë (effet apaisant et sédatif), ou encore la mandragore
(effet narcotique et hallucinogène).
Les Romains avaient développés de nombreux traitements pour soigner les
yeux. Les feuilles de buis, les roses, le safran, le romarin ou encore
les pépins de coing entraient dans la préparation de ceux-ci. Ces
composants végétaux étaient associés à des métaux tels que des sels de
mercure, de fer, de plomb, de cuivre ou de soufre.
Pline l’Ancien (Histoire naturelle, VIII, 63) raconte que la racine du
rosier sauvage (cynorhodon) serait le seul remède pour guérir une
morsure de chien enragé. Par ailleurs, il consacre un livre complet
(XX) aux remèdes fournis par les plantes du jardin, ainsi que deux
(XXII et XXV) pour informer son lecteur des bienfaits des herbes et
deux autres (XXIII et XXIV) sur les remèdes tirés des arbres.
Il mentionne, par exemple, les bienfaits des mûres qui poussent sur les
ronces. Selon lui, elles sont utiles pour soigner les maladies des
gencives, des amygdales et des parties génitales. Elles sont également
diurétiques et permettent d’éviter le gonflement si on les appliquent
sur les piqûres de scorpions. Elles seraient aussi bénéfiques contre
les piqûres de serpent.
Il vante aussi les vertus du plantain contre les rhumatismes, selon une
information qu’il a recueillie chez le médecin grec Thémison.
Certains végétaux d’origine gauloise, sans doute déjà utilisés par les
tribus celtiques, sont également entrés dans la pharmacopée romaine.
C’est par exemple le cas du pastel. Connu pour son usage tinctorial
permettant d’obtenir des étoffes bleues qui ne déteignaient pas, il
avait aussi des vertus médicinales. Il était recommandé pour la
cicatrisation des ulcères et des tumeurs. Il était utilisé en usage
externe.
Le nard celtique s’exportait aussi dans l’Empire. Il s’agissait d’une
valériane alpine devenue rare de nos jours. Elle était utilisée
notamment pour soigner la jaunisse et d’autres affections hépatiques,
mais également pour soulager les règles douloureuses.
On peut encore citer l’herbe de Saintonge, une armoise (Artemisia
maritima) issue des côtes charentaises, était déjà connue pour ses
vertus antiparasitaires. Elle pouvait notamment servir pour se
débarrasser de vers et autres parasites intestinaux tant chez les
humains que chez les animaux. Ces qualités ont été confirmées par les
chercheurs modernes.
Les céréales avaient aussi leur place dans la pharmacopée antique.
Toujours selon Pline (XXII, 57-59), la farine de froment, en cuisson
avec du vinaigre, permettait de soulager les contractions nerveuses.
Quant à la paille chaude de blé ou d’orge, bouillie dans l’eau, elle
aurait eu le pouvoir de soulager les hernies. La farine d’orge, elle,
était employée pour adoucir les inflammations. La lèpre aurait été
guérie par une association de farine d’ivraie et de soufre vif. Avaler
des lentilles soulageait les vomissements, par contre elles étaient
néfastes pour le sommeil.
Dérivé des céréales, le pain avait aussi des applications médicinales.
Des substances aromatiques étaient importées de différentes régions du monde ancien, notamment de l’Orient. Elles se voyaient attribuées du grande valeur dans l’Antiquité romaine, tant en raison de leur provenance exotique, que de leur relative rareté liée à celle-ci.
La cannelle, le poivre, l’encens et les férules appartenaient à ces épices prisées par les Romains. Elles étaient particulièrement indiquées dans certaines disciplines médicales telles que l’ophtalmologie, oto-rhino-laryngologie, la dermatologie et la pneumologie. Elles apparaissent aussi parmi les traitements de maladies digestives et hépatiques.
Par exemple, les qualités du gingembre en tant que facilitateur digestif, particulièrement utile pour calmer les vomissements était déjà documenté à l’époque romaine. Le curcuma était aussi connu pour son action digestive. Le poivre intervenait pour traiter des douleurs abdominales, mais aussi des pathologies digestives.
Quant à la girofle, c’est en tant qu’analgésique dentaire, qu’elle était employée. La myrrhe possédait également une action analgésique. Elle entrait, par ailleurs, dans les options disponibles pour soigner des affections du système respiratoire.
Le vitiligo se voyait traité par application cutanée d’ammi suivie d’une exposition au soleil. Le safran était prescrit comme traitement ophtalmologique notamment. Les férules étaient consommées, elles, pour leurs propriétés anticonceptionnelles.
Des recherches modernes ont remis au jour les possibilités thérapeutiques offertes par ces plantes médicinales et confirmé certaines observations antiques.
C’est probablement à la famille des férules qu’il faut rattacher le silphium, qui a assuré la richesse de la Cyrénaïque pré-romaine. Il semble s’être raréfié de plus en plus à mesure qu’il ne pouvait plus être récolté que dans le Sahara. Il a finalement totalement disparu de cette aire géographique dès l’Antiquité (Pline, Histoire naturelle, XIX, 15). Cette plante avait une telle importance dans la prospérité de la Cyrénaïque, que plusieurs villes de cette région l’ont illustrée sur leurs monnaies. Son nom apparaît également dans l’Égypte voisine dès la Haute Antiquité.
Pline l’Ancien (Histoire naturelle, XXII, 48-49) lui attribue de nombreux usages thérapeutiques dans des domaines très divers. Il était, par exemple, employé en gynécologie, pour l’expulsion des fœtus morts. Il soulageait les irritations de la trachée-artère. Son action diurétique est mentionnée. Il était utilisé sur les engelures et pour réchauffer ceux qui étaient transis de froid. Il devait nettoyer la gorge et rétablir la voix en cas d’enrouement. Il intervenait aussi pour soigner l’angine et l’asthme. Il entrait dans le traitement des cors préalablement mis à vif. Il adoucissait encore les douleurs liées à la goutte. En boisson, il aurait neutralisé le venin de serpent. Mélangé à de l’huile, il pouvait être appliqué sur les piqûres de scorpion. On pouvait l’employer avec du vin, du vinaigre et du safran ou du poivre ou de la fiente de rat pour faire repousser les cheveux. En association avec du vin uniquement, il entrait dans le traitement de l’épilepsie. De nombreuses autres applications nous sont encore parvenues !
Dès le IIe millénaire avant notre ère, le vin était fabriqué et consommé. Les Grecs en connaissaient notamment les vertus toniques, antiseptiques, diurétiques et vomitives, mais aussi les douleurs de la tête et l’effet d’échauffement qu’il procure lorsqu’il est consommé en trop grande quantité.
Comme mentionné précédemment, le vin pouvait aussi servir à saouler le patient qui devait subir une intervention chirurgicale. Il semble d’ailleurs que ce soit principalement dans les domaines chirurgicaux et gynécologiques que le vin a fait l’objet d’un usage abondant.
Mais les médecins antiques avaient déjà conscience qu’il devait être consommé avec précaution, car sa consommation excessive pouvait aussi être à l’origine de troubles et de maladies.
Le dosage devait être adapté pour chaque individu et dépendait de plusieurs éléments (saison, âge du malade, constitution physique, habitude de consommation, etc.)
Outre le mélange avec l’eau, le vin pouvait être associé au miel ou au lait, servir de base à des infusions de plantes, voire même à de la farine et du fromage.
Le vinaigre (vin aigre) intervenait également dans la composition de divers remèdes. A titre d’exemple, il pouvait être employé avec le natron et d’autres composés pour soigner des affections dermatologiques. Mais avec le silphium et du poireau, il traitait l’asthme et la toux.
Pour
en savoir plus sur le vin et son utilisation thérapeutique dans
l’Antiquité gréco-romaine, voir l'article qui lui a été consacré par l'auteur sur ce site.
La bière a été fabriquée et consommée par plusieurs peuples de l’Antiquité considérés comme « barbares » par les Grecs et les Romains : Mésopotamiens, Égyptiens, Celtes, Thraces, etc.
Par exemple, la cervoise était la bière des Gaulois. Les Égyptiens nommaient la leur zythum.
Selon la pharmacopée de Nippur (tablette sumérienne du IIIe millénaire av. n. ère), la bière était employée comme expédiant pour faciliter l’absorption de certains médicaments par le patient. Mais elle ne constituait pas un remède en elle-même.
Chez les Égyptiens, la bière apparaît dans certaines recettes de remèdes avec sans doute aussi une fonction de liant. En effet, beaucoup de composants étaient broyés en poudre. Il était donc pus aisé ensuite de les mêler à une autre substance (miel, lait, vin, bière) pour en faciliter l’utilisation. En voici un exemple provenant d’un papyrus du British Museum de Londres (BM EA 10059) : minéral pesedj, ocre rouge, fruit de la caroube, verser dans de la bière douce.
Par ailleurs, l’écume de la bière était utilisée par les femmes en tant que cosmétique pour entretenir la fraîcheur de leur teint selon Pline l’Ancien (Histoire naturelle, XXII, 82).
Conclusion
Les exemples pourraient encore être multipliés. Ceux énumérés ci-dessus témoignent d’une connaissance déjà approfondie des plantes et autres composants naturels pour permettre de répondre à de nombreuses situations médicales qui peuvent se présenter. La bibliothèque et le musée d’Alexandrie, ainsi que des écoles grecques de médecine telles que Cos ou Cnide ont joué un rôle important dans le développement de ce savoir scientifique. Mais c’est aussi la combinaison des connaissances empiriques de plusieurs civilisations (celte, égyptienne, mésopotamienne...) qui ont été fusionnées pour permettre une médecine romaine qualitative.
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