Dans
l’Antiquité, l’animal était perçu comme utile et destiné à la guérison
de l’humain. Les substances animales étaient donc nombreuses à
entrer dans la composition de remèdes. Urines, fientes, lait, miel,
graisses, œufs, toiles d’araignées, escargots ne sont que quelques
exemples du large éventail des substances animales utilisées.
Cet article propose de présenter quelques composants de provenance
animale, qui ont fait l’objet d’une étude plus approfondie. Mais il ne
s’agit que de modestes exemples à disposition des médecins antiques et
non pas systématiquement les plus utilisés.
Sécrétions de castors
Le castoréum, provenant d’une glande abdominale du castor, permet à
l’animal de marquer son territoire. Il s’agit de l’urine diluée du
rongeur. Dans l’Antiquité gréco-romaine, il faisait partie du
traitement de nombreuses maladies, dont notamment l’épilepsie. Elles
permettaient aussi de soigner des fièvres, des maux de tête, des maux
d’estomac et des spasmes, ainsi que des morsures de serpents. Mais
c’est dans le domaine gynécologique que la majorité des usages étaient
répertoriés.
Ces sécrétions contiennent de l’acide salicylique issu de
l’alimentation du castor (pins, peupliers, nénuphars, saules), ce qui
explique leur efficacité notamment contre les maux de tête. En effet,
elles présentent des caractéristiques similaires à l’aspirine, qui est
à la fois antipyrétique, désinfectant, antiseptique et analgésique.
Importé des régions nordiques, le castoréum faisait partie des
substances coûteuses et exotiques. Ce produit est attesté dans les
sources antiques depuis Hérodote (IV, 109). A partir de l’époque
hellénistique, ce liquide brun-orangé a également pu servir de parfum,
bien que certains auteurs latins considèrent son odeur comme
désagréable.
Escargots
Considéré par Celse comme cicatrisant lorsqu’il était pillé avec sa
coquille ou émollient quand il était bouillit, l’escargot ou hélice
pouvait avoir de nombreuses applications dans la médecine antique.
Galien le recommandait contre l’anasarque (œdème généralisé des tissus
sous-cutanés). Pline l’Ancien estimait, lui, qu’il était utile pour
accélérer les accouchements, mais aussi pour calmer les saignements de
nez et les maux d’estomac notamment. Ils pouvaient être pris en
boissons par les personnes crachant du sang, grillés sur des charbons
et accompagné de bouillon pour ceux qui souffraient de l’estomac.
Ceux qui souffraient d’évanouissements, de vertiges ou d’accès de folie
se voyaient recommandés de manger des escargots également. Il leur
était prescrit de les consommer broyés dans leur coquille et chauffés
dans du vin.
Comme ces quelques exemples en témoignent, les modalités de préparation
étaient nombreuses et dépendaient de la pathologie visée par le
traitement. L’escargot représentait une sorte de panacée dans la
médecine gréco-romaine. On lui attribuait une forme de pouvoir
guérisseur presque divin.
Au cours des dernières décennies, la recherche médicale a poursuivit
l’étude des propriétés thérapeutiques de l’escargot, toujours utilisé
notamment pour ses effets bronchorelaxants. Il peut aussi jouer un rôle
en tant qu’indicateur pronostique pour certains cancers (sein, estomac,
côlon). Par ailleurs, des études soulignent que les populations,
intégrant régulièrement certaines espèces d’escargots (contenant de
l’acide alphalinolénique) à leur alimentation, sont moins sujets aux
accidents cardio-vasculaires. Ces applications modernes, bien que
relativement éloignées des usages antiques, attestent cependant de
l’utilité de l’hélice dans certains domaines de la santé.
Crocodiles et repriles apparentés
Le
crocodile était abondamment utilisé dans la pharmacopée et la
cosmétique antique. Les anciens distinguaient le crocodile terrestre,
qui désignait en réalité plusieurs espèces dont les varans et stellions
(lézard diurne), et le crocodile amphibie (qui correspond au
crocodile moderne). Toutes les espèces pouvaient entrer dans la
composition de produits médicinaux.
Les emplois des composants des crocodiles sont attestés dans le
traitement d’affections très diverses allant des maladies de la hanche
et des lombaires jusqu’à la toux chronique (en particulier chez les
enfants) selon Pline l’Ancien. Pour guérir ces maux, le corps du
crocodile devait être séparé de la tête et des pieds (et éventuellement
aussi des intestins). Ensuite, la partie principale de l’animal était
être bouilli, puis ingéré par le malade.
Pour les douleurs utérines, c’est sous forme de fumigations que le
corps et l’intestin de crocodile pouvait être utilisé. Quant à la peau
des différentes espèces crocodiliennes, sous forme de cendres, elle
aurait eu des vertus anesthésiantes. La chair du crocodile, elle,
pourrait avoir été employée comme antidote contre les piqûres de
scorpions.
La graisse du crocodile amphibie était notamment prescrite pour lutter
contre la fièvre, mais aussi à soigner les morsures de crocodiles
(selon un principe simila similibus qui voulait que l’animal pouvait
servir comme antidote à ses propres morsures ou piqûres). Tandis qu’en
fumigation, cette graisse entrait dans la composition d’aphrodisiaques.
En Égypte, on lui attribuait la capacité de faire repousser les cheveux
d’un chauve. Elle pouvait aussi assouplir des parties du corps
ankylosées.
Pline estime qu’utilisé en onction sur les yeux, le sang des
différentes espèces de crocodiles permettait d’améliorer la vue et de
soigner l’amblyopie. Le cœur de l’animal devait guérir la fièvre
quarte. Mais de toutes les substances provenant du crocodile, ce sont
les excréments qui sont le plus souvent utilisés dans des recettes
médicales. Ils avaient des applications ophtalmologiques,
dermatologiques, cosmétiques et thérapeutiques divers.
Ces excréments contiennent un peu de vitamine C et beaucoup de vitamine
E. Cette dernière ayant des vertus anti-virales, elle pourrait avoir
joué un rôle dans les multiples usages médicaux de cette substance,
notamment en dermatologie et ophtalmologie.
En ce qui concerne l’usage cosmétique chez les femmes, la fiente de
crocodile (terrestre) est censée donner un beau teint et de l’éclat au
visage, voire même lisser la peau et l’éclaircir. Les textes signalent
que cette substance est blanche. Il est donc probable qu’il s’agisse
d’acide ornithurique, associé à la fiente des reptiles, comme à celle
des oiseaux, mais pas la fiente elle-même. Ce produit était estimé et
coûteux chez les Romains. Il semble que cet usage cosmétique de la
fiente de crocodile s’est poursuivit au Moyen-Âge et jusqu’à l’époque
Moderne.
Dans les écrits de la période pharaonique égyptienne, c’est par exemple
pour soigner des affections ORL du conduit auditif externe que la
fiente de crocodile est conseillée. Elle apparaît aussi dans la
préparation d’un contraceptif, imbibant un tampon de fibres végétales
avec la fiente, avant de l’introduire dans le vagin. Ce serait le
phénomène inflammatoire localisé, provoqué par les germes présents dans
la fiente, qui auraient joué un rôle contraceptif. C’était donc un
usage risqué, puisque l’inflammation pouvait causer une stérilité
définitive, voire même une septicémie.
Des éléments issus des crocodiles pouvaient aussi entrer dans la
fabrication d’amulettes. C’était notamment le cas des petites pierres
trouvées dans le ventre de l’animal. Celle-ci devait alors être
entourée de laine d’une brebis noire née d’une première portée !
L’amulette ainsi fabriquée et portée par le malade était destinée à
guérir les frissons d’une fièvre naissante. Pour en apprendre plus sur
les amulettes, voir l’article qui leur est consacré sur ce site.
Animaux aquatiques : poulpes et crabes de rivières
Mentionnés
dans un traité hippocratique, La nature de la femme, le poulpe (côtier)
et le crabe de rivière étaient employés dans la préparation de remèdes
gynécologiques.
Selon ce texte, le poulpe devait être étouffé dans le vin blanc.
Ensuite l’animal devait être mangé en entier (cru) et le vin devait
être bu par la patiente. Cette recette était recommandée pour faire
face à un retard des règles. Ce remède intervient en complément à une
purge de l’utérus.
Le poulpe devant être obtenu encore vivant, afin d’être étouffé dans le
vin, cette recette n’était probablement pas aisée à mettre en œuvre si
le traitement devait être réalisé dans une région éloignée d’un
littoral sur lequel ces poulpes pouvaient être pêchés.
Toujours dans cet ouvrage de gynécologie, le poulpe cuit aurait eu le
pouvoir de repositionner l’utérus : « Si l’utérus se fixe au
bassin, que la malade mange des poulpes, bouillis comme rôtis, et
qu’elle boive le plus de vin possible, noir, odorant et pur ». C’est
peut-être la réflexion sur la capacité aspirante du poulpe et de ses
ventouses, qui a pu mener à l’élaboration de ce traitement.
Les
crabes de rivières devaient, eux aussi, être étouffés dans du vin. Mais
dans ce cas-ci, c’était au contraire pour arrêter un écoulement sanguin
faisant suite à un avortement ou à un accouchement, que le remède était
conseillé. Le vin était à nouveau destiné à être bu par la patiente.
Ces animaux d’eau douce entraient également dans la composition d’une
recette destinée à permettre l’expulsion d’un fœtus mort selon un autre
traité hippocratique, Maladies des femmes : « cinq crabes de
rivière, racine de patience et de rue, suie d’un four ; après avoir
broyé le tout ensemble, l’avoir mis dans de l’hydromel et exposé au
serein, que la malade boive (la préparation) à jeun trois fois ». La
patience et la rue étaient, par ailleurs, deux plantes laxatives. Quant
au crabe, il était broyé avec l’ensemble des ingrédients dans cet
exemple.
Notons encore que le bouillon de poulpe était employé comme laxatif,
selon le traité du Régime, appartenant également à la collection
hippocratique. C’était probablement le cas également du crabe, qu’il
soit de mer ou de rivière. Ces deux espèces de crustacés auraient, de
plus, eu un effet diurétique.
Miel et hydromel
Courant
dans la cuisine antique, le miel était la principale substance pour
sucrer les aliments et boissons pendant une grande partie de l’Histoire
(jusqu’à ce que le sucre de betterave le remplace seulement au XIXe
siècle). Il était notamment abondamment utilisé pour sucrer le vin dans
le monde grec et romain. Les gâteaux au miel sont également bien
attestés dans la littérature. Sa forte valeur nutritive était déjà
connue.
Dès la Haute Antiquité, en Mésopotamie et en Égypte par exemple, comme
dans la Grèce et la Rome antique, le miel était présent parmi les
offrandes destinées aux divinités.
Mais il a aussi été utilisé dans le domaine pharmaceutique, tant en
Égypte ancienne que dans le monde classique. Chez les Égyptiens, il
était connu pour aider à la cicatrisation des plaies et des tissus. Il
était notamment utilisé pour soigner des brûlures. Pline l’Ancien lui
attribue la propriété d’empêcher la putréfaction des corps (Histoire naturelle,
XXII, 50). En effet, sa forte teneur en glucides lui assure des
propriétés bactéricides. Il était appliqué pour détruire les lentes et
la vermine de la tête.
Cuit avec du choux, il était aussi utilisé pour soigner la colique et
la dysenterie. Tandis que cuit avec du sel, il aurait guérit les
douleurs d’oreille. Ses propriétés émollientes et rafraîchissantes
étaient connues dans le domaine de la dentisterie. Pline mentionne
aussi son utilisation pour les affections de la bouche et de la gorge.
Il devait être bouilli pour l’administrer dans le cas de pleurésies ou
d’empoisonnement par les champignons.
Dérivé
du miel, l’hydromel était également bien connu dans l’Antiquité. Pline
l’Ancien en distingue deux sortes : l’une qui se prépare
sur-le-champ et l’autre qui se garde (Histoire naturelle,
XXII, 51). Dans le cas de la seconde, il s’agissait d’une boisson
alcoolisée obtenue par fermentation d’une solution de miel et d’eau
abandonnée au soleil.
Cette composition pouvait servir d’antidote à la jusquiame. Avec du
pain tendre, elle pouvait être appliquée sur la vulve ou sur des
luxations. Elle pouvait être bu pour calmer la toux. Consommé chaux,
elle provoquait des vomissements.
Elle était considérée par les Grecs comme un breuvage divin aux
propriétés magiques, qui aurait rendu immortel, ou du moins qui aurait
prolongé la vie. Elle aurait également procuré la santé, la virilité,
la force, l’intelligence… Les Gaulois consommaient aussi l’hydromel.
Les Romains, quant à eux, lui préféraient le vin.
Autre dérivé du miel, la cire était également incluse dans les substances thérapeutiques antiques (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXII, 55-56). Servie dans un potage, elle soulageait la dysenterie. On lui reconnaissait également des qualités émollientes.
Quelques autres exemples de substances animales de la pharmacopée antiques
Outres les
produits déjà mentionnés, beaucoup d’autres composants de la faune
pouvaient se voir attribuer des fonctions médicinales par les médecins
antiques. Par exemple, il était aussi possible de soigner les morsures
de serpents avec de la graisse d’ichneumon ou encore de la belette
pillée et brûlée à l’époque romaine ! Si l’efficacité ne semble
pas assurée (loin de là…), c’est probablement une analyse logique qui a
mené à la création de ces traitements. En effet, les petits rongeurs
(castor, ichneumon, belette, rat) étaient considérés comme
particulièrement hostiles aux reptiles.
L’emploi abondant d’animaux en médecine est particulièrement caractéristique de l’Égypte.
Les excréments, la graisse ou encore les testicules d’hippopotame, animal emblématique du Nil, étaient recherchés.
Pline l’Ancien le considère comme un animal-médecin (Histoire naturelle,
VIII, 60). Il lui attribue l’invention de la saignée et son
enseignement aux Romains dans le cadre de jeux célébrés à Rome, dans
lesquels un hippopotame fut présenté pour la première fois en compagnie
de cinq crocodiles du Nil. Hors du domaine médical, il signale
également que son cuir pouvait être utilisé pour fabriquer des casques
et des boucliers impénétrables tant qu’ils n’étaient pas mouillés.
Dans son livre
XXVIII, 31, il dresse une liste de remèdes qui pouvaient être obtenus à
partir de l’hippopotame : « La cendre de sa peau, appliquée
avec de l'eau, guérit les tumeurs; sa graisse, les fièvres froides,
ainsi que sa fiente en fumigation. Les dents du côté gauche guérissent
les douleurs de dents : on scarifie les gencives avec. La peau du côte
gauche du front appliquée sur les aines est anti-aphrodisiaque.
La cendre de la même partie répare la perte des cheveux. On prend
une drachme du testicule, dans de l'eau, contre les serpents ».
Le cuir, les
excréments, le foie et le sang de tortue, la graisse et les excréments
de crocodile sont également incorporés aux compositions thérapeutiques
égyptiennes.
Dans le monde romain, c’est toujours Pline (Histoire naturelle,
XXXII, 114) qui rapporte que les grenouilles pouvaient être étouffées
dans de l’huile, selon une pratique similaire à l’étouffement du poulpe
et du crabe dans le vin. Ces grenouilles pouvaient ensuite être portées
en amulette. Quant à l’huile, elle était utilisée en onction contre la
fièvre quarte (fièvre intermittente).
Dans son livre
XXVIII, il aborde des usages du lait d’ânesse, qui passait pour effacer
les rides du visage et maintenir la blancheur de la peau (50), mais
aussi pour soigner les ulcérations de l’estomac (54). Quant au lait de
chèvre, il pouvait être utilisé comme dentifrice (49), de même que le
fiel de taureau ou encore les cendres frais de l’astragale (os du
tarse) d’une chèvre ou d’un autre quadrupède élevé dans une ferme.
« Pour les
douleurs du cou, on se frotte avec du beurre ou de la graisse
d'ours ; pour le torticolis, avec le suif de bœuf, lequel est bon
aussi contre les scrofules avec de l'huile. La douleur avec
inflexibilité, qu'on nomme opisthotonos,
est guérie avec de l'urine de chèvre instillée dans les oreilles, ou
avec des excréments de chèvre appliqués avec des oignons. » (52)
et « La toux se traite par le foie de loup dans du vin chaud, par
le fiel d'ours avec addition de miel, par la cendre des sommités d'une
corne de bœuf, par la salive de cheval bue pendant trois jours (mais on
prétend que le cheval meurt), par le poumon de cerf, avec le gosier du
même animal, séché à la fumée, puis broyé dans du miel et donné chaque
jour en écligme (sorte de sirop) » (53) toujours selon le même
auteur. Il est possible de multiplier ces exemples à l’infini.
Enfin, le
corail, assimilé par les anciens aux pierres semi-précieuses car ils
pensaient qu’il s’agissait d’une plante pétrifiée, il passait également
pour avoir de nombreuses qualités, tant thérapeutiques que magiques. Il
pouvait par exemple être porté en amulette. Et si celle-ci était gravée
d’une tête de gorgone, elle protégeait son porteur des drogues, mais
aussi de la foudre, des astres et des esprits méchants !
Conclusion
Certaines
substances animales incorporées aux préparations pharmaceutiques
antiques ne devaient guère avoir d’effet autre que placebo, comme cela
est par exemple le cas des toiles d’araignée. Cependant, certaines
autres avaient des vertus que les Anciens avaient identifiées et qui
peuvent aujourd’hui être confirmées scientifiquement.
Pistes
bibliographiques
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Pour compléter cet article, voir aussi
Les médicaments issus de la nature, partie 1 : substances thérapeutiques issues de l'univers végétal