Se soigner dans l'Antiquité : les médicaments issus de la nature
Partie 2 : remèdes issus du monde animal


Par Carine Mahy
Dans l’Antiquité, l’animal était perçu comme utile et destiné à la guérison de l’humain. Les substances animales étaient donc nombreuses à entrer dans la composition de remèdes. Urines, fientes, lait, miel, graisses, œufs, toiles d’araignées, escargots ne sont que quelques exemples du large éventail des substances animales utilisées.

Cet article propose de présenter quelques composants de provenance animale, qui ont fait l’objet d’une étude plus approfondie. Mais il ne s’agit que de modestes exemples à disposition des médecins antiques et non pas systématiquement les plus utilisés.

Sécrétions de castors

Le castoréum, provenant d’une glande abdominale du castor, permet à l’animal de marquer son territoire. Il s’agit de l’urine diluée du rongeur. Dans l’Antiquité gréco-romaine, il faisait partie du traitement de nombreuses maladies, dont notamment l’épilepsie. Elles permettaient aussi de soigner des fièvres, des maux de tête, des maux d’estomac et des spasmes, ainsi que des morsures de serpents. Mais c’est dans le domaine gynécologique que la majorité des usages étaient répertoriés.
Ces sécrétions contiennent de l’acide salicylique issu de l’alimentation du castor (pins, peupliers, nénuphars, saules), ce qui explique leur efficacité notamment contre les maux de tête. En effet, elles présentent des caractéristiques similaires à l’aspirine, qui est à la fois antipyrétique, désinfectant, antiseptique et analgésique.
Importé des régions nordiques, le castoréum faisait partie des substances coûteuses et exotiques. Ce produit est attesté dans les sources antiques depuis Hérodote (IV, 109). A partir de l’époque hellénistique, ce liquide brun-orangé a également pu servir de parfum, bien que certains auteurs latins considèrent son odeur comme désagréable.


Escargots

Considéré par Celse comme cicatrisant lorsqu’il était pillé avec sa coquille ou émollient quand il était bouillit, l’escargot ou hélice pouvait avoir de nombreuses applications dans la médecine antique. Galien le recommandait contre l’anasarque (œdème généralisé des tissus sous-cutanés). Pline l’Ancien estimait, lui, qu’il était utile pour accélérer les accouchements, mais aussi pour calmer les saignements de nez et les maux d’estomac notamment. Ils pouvaient être pris en boissons par les personnes crachant du sang, grillés sur des charbons et accompagné de bouillon pour ceux qui  souffraient de l’estomac. Ceux qui souffraient d’évanouissements, de vertiges ou d’accès de folie se voyaient recommandés de manger des escargots également. Il leur était prescrit de les consommer broyés dans leur coquille et chauffés dans du vin.
Comme ces quelques exemples en témoignent, les modalités de préparation étaient nombreuses et dépendaient de la pathologie visée par le traitement. L’escargot représentait une sorte de panacée dans la médecine gréco-romaine. On lui attribuait une forme de pouvoir guérisseur presque divin.

Au cours des dernières décennies, la recherche médicale a poursuivit l’étude des propriétés thérapeutiques de l’escargot, toujours utilisé notamment pour ses effets bronchorelaxants. Il peut aussi jouer un rôle en tant qu’indicateur pronostique pour certains cancers (sein, estomac, côlon). Par ailleurs, des études soulignent que les populations, intégrant régulièrement certaines espèces d’escargots (contenant de l’acide alphalinolénique) à leur alimentation, sont moins sujets aux accidents cardio-vasculaires. Ces applications modernes, bien que relativement éloignées des usages antiques, attestent cependant de l’utilité de l’hélice dans certains domaines de la santé.


Crocodiles et repriles apparentés

Le crocodile était abondamment utilisé dans la pharmacopée et la cosmétique antique. Les anciens distinguaient le crocodile terrestre, qui désignait en réalité plusieurs espèces dont les varans et stellions (lézard diurne), et le crocodile amphibie (qui correspond au crocodile moderne). Toutes les espèces pouvaient entrer dans la composition de produits médicinaux.

Les emplois des composants des crocodiles sont attestés dans le traitement d’affections très diverses allant des maladies de la hanche et des lombaires jusqu’à la toux chronique (en particulier chez les enfants) selon Pline l’Ancien. Pour guérir ces maux, le corps du crocodile devait être séparé de la tête et des pieds (et éventuellement aussi des intestins). Ensuite, la partie principale de l’animal était être bouilli, puis ingéré par le malade.

Pour les douleurs utérines, c’est sous forme de fumigations que le corps et l’intestin de crocodile pouvait être utilisé. Quant à la peau des différentes espèces crocodiliennes, sous forme de cendres, elle aurait eu des vertus anesthésiantes. La chair du crocodile, elle, pourrait avoir été employée comme antidote contre les piqûres de scorpions.
La graisse du crocodile amphibie était notamment prescrite pour lutter contre la fièvre, mais aussi à soigner les morsures de crocodiles (selon un principe simila similibus qui voulait que l’animal pouvait servir comme antidote à ses propres morsures ou piqûres). Tandis qu’en fumigation, cette graisse entrait dans la composition d’aphrodisiaques. En Égypte, on lui attribuait la capacité de faire repousser les cheveux d’un chauve. Elle pouvait aussi assouplir des parties du corps ankylosées.

Pline estime qu’utilisé en onction sur les yeux, le sang des différentes espèces de crocodiles permettait d’améliorer la vue et de soigner l’amblyopie. Le cœur de l’animal devait guérir la fièvre quarte. Mais de toutes les substances provenant du crocodile, ce sont les excréments qui sont le plus souvent utilisés dans des recettes médicales. Ils avaient des applications ophtalmologiques, dermatologiques, cosmétiques et thérapeutiques divers.

Ces excréments contiennent un peu de vitamine C et beaucoup de vitamine E. Cette dernière ayant des vertus anti-virales, elle pourrait avoir joué un rôle dans les multiples usages médicaux de cette substance, notamment en dermatologie et ophtalmologie.

En ce qui concerne l’usage cosmétique chez les femmes, la fiente de crocodile (terrestre) est censée donner un beau teint et de l’éclat au visage, voire même lisser la peau et l’éclaircir. Les textes signalent que cette substance est blanche. Il est donc probable qu’il s’agisse d’acide ornithurique, associé à la fiente des reptiles, comme à celle des oiseaux, mais pas la fiente elle-même. Ce produit était estimé et coûteux chez les Romains. Il semble que cet usage cosmétique de la fiente de crocodile s’est poursuivit au Moyen-Âge et jusqu’à l’époque Moderne.

Dans les écrits de la période pharaonique égyptienne, c’est par exemple pour soigner des affections ORL du conduit auditif externe que la fiente de crocodile est conseillée. Elle apparaît aussi dans la préparation d’un contraceptif, imbibant un tampon de fibres végétales avec la fiente, avant de l’introduire dans le vagin. Ce serait le phénomène inflammatoire localisé, provoqué par les germes présents dans la fiente, qui auraient joué un rôle contraceptif. C’était donc un usage risqué, puisque l’inflammation pouvait causer une stérilité définitive, voire même une septicémie.

Des éléments issus des crocodiles pouvaient aussi entrer dans la fabrication d’amulettes. C’était notamment le cas des petites pierres trouvées dans le ventre de l’animal. Celle-ci devait alors être entourée de laine d’une brebis noire née d’une première portée ! L’amulette ainsi fabriquée et portée par le malade était destinée à guérir les frissons d’une fièvre naissante. Pour en apprendre plus sur les amulettes, voir l’article qui leur est consacré sur ce site.

Animaux aquatiques : poulpes et crabes de rivières

Mentionnés dans un traité hippocratique, La nature de la femme, le poulpe (côtier) et le crabe de rivière étaient employés dans la préparation de remèdes gynécologiques.
Selon ce texte, le poulpe devait être étouffé dans le vin blanc. Ensuite l’animal devait être mangé en entier (cru) et le vin devait être bu par la patiente. Cette recette était recommandée pour faire face à un retard des règles. Ce remède intervient en complément à une purge de l’utérus.
Le poulpe devant être obtenu encore vivant, afin d’être étouffé dans le vin, cette recette n’était probablement pas aisée à mettre en œuvre si le traitement devait être réalisé dans une région éloignée d’un littoral sur lequel ces poulpes pouvaient être pêchés.
Toujours dans cet ouvrage de gynécologie, le poulpe cuit aurait eu le pouvoir de repositionner l’utérus : « Si l’utérus se fixe au bassin, que la malade mange des poulpes, bouillis comme rôtis, et qu’elle boive le plus de vin possible, noir, odorant et pur ». C’est peut-être la réflexion sur la capacité aspirante du poulpe et de ses ventouses, qui a pu mener à l’élaboration de ce traitement.

Les crabes de rivières devaient, eux aussi, être étouffés dans du vin. Mais dans ce cas-ci, c’était au contraire pour arrêter un écoulement sanguin faisant suite à un avortement ou à un accouchement, que le remède était conseillé. Le vin était à nouveau destiné à être bu par la patiente.
Ces animaux d’eau douce entraient également dans la composition d’une recette destinée à permettre l’expulsion d’un fœtus mort selon un autre traité hippocratique, Maladies des femmes : « cinq crabes de rivière, racine de patience et de rue, suie d’un four ; après avoir broyé le tout ensemble, l’avoir mis dans de l’hydromel et exposé au serein, que la malade boive (la préparation) à jeun trois fois ». La patience et la rue étaient, par ailleurs, deux plantes laxatives. Quant au crabe, il était broyé avec l’ensemble des ingrédients dans cet exemple.


Notons encore que le bouillon de poulpe était employé comme laxatif, selon le traité du Régime, appartenant également à la collection hippocratique. C’était probablement le cas également du crabe, qu’il soit de mer ou de rivière. Ces deux espèces de crustacés auraient, de plus, eu un effet diurétique.


Miel et hydromel

Courant dans la cuisine antique, le miel était la principale substance pour sucrer les aliments et boissons pendant une grande partie de l’Histoire (jusqu’à ce que le sucre de betterave le remplace seulement au XIXe siècle). Il était notamment abondamment utilisé pour sucrer le vin dans le monde grec et romain. Les gâteaux au miel sont également bien attestés dans la littérature. Sa forte valeur nutritive était déjà connue.
Dès la Haute Antiquité, en Mésopotamie et en Égypte par exemple, comme dans la Grèce et la Rome antique, le miel était présent parmi les offrandes destinées aux divinités.
Mais il a aussi été utilisé dans le domaine pharmaceutique, tant en Égypte ancienne que dans le monde classique. Chez les Égyptiens, il était connu pour aider à la cicatrisation des plaies et des tissus. Il était notamment utilisé pour soigner des brûlures. Pline l’Ancien lui attribue la propriété d’empêcher la putréfaction des corps (Histoire naturelle, XXII, 50). En effet, sa forte teneur en glucides lui assure des propriétés bactéricides. Il était appliqué pour détruire les lentes et la vermine de la tête.
Cuit avec du choux, il était aussi utilisé pour soigner la colique et la dysenterie. Tandis que cuit avec du sel, il aurait guérit les douleurs d’oreille. Ses propriétés émollientes et rafraîchissantes étaient connues dans le domaine de la dentisterie. Pline mentionne aussi son utilisation pour les affections de la bouche et de la gorge. Il devait être bouilli pour l’administrer dans le cas de pleurésies ou d’empoisonnement par les champignons.

Dérivé du miel, l’hydromel était également bien connu dans l’Antiquité. Pline l’Ancien en distingue deux sortes : l’une qui se prépare sur-le-champ et l’autre qui se garde (Histoire naturelle, XXII, 51). Dans le cas de la seconde, il s’agissait d’une boisson alcoolisée obtenue par fermentation d’une solution de miel et d’eau abandonnée au soleil.
Cette composition pouvait servir d’antidote à la jusquiame. Avec du pain tendre, elle pouvait être appliquée sur la vulve ou sur des luxations. Elle pouvait être bu pour calmer la toux. Consommé chaux, elle provoquait des vomissements.
Elle était considérée par les Grecs comme un breuvage divin aux propriétés magiques, qui aurait rendu immortel, ou du moins qui aurait prolongé la vie. Elle aurait également procuré la santé, la virilité, la force, l’intelligence… Les Gaulois consommaient aussi l’hydromel. Les Romains, quant à eux, lui préféraient le vin.

Autre dérivé du miel, la cire était également incluse dans les substances thérapeutiques antiques (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXII, 55-56). Servie dans un potage, elle soulageait la dysenterie. On lui reconnaissait également des qualités émollientes.


Quelques autres exemples de substances animales de la pharmacopée antiques


Outres les produits déjà mentionnés, beaucoup d’autres composants de la faune pouvaient se voir attribuer des fonctions médicinales par les médecins antiques. Par exemple, il était aussi possible de soigner les morsures de serpents avec de la graisse d’ichneumon ou encore de la belette pillée et brûlée à l’époque romaine ! Si l’efficacité ne semble pas assurée (loin de là…), c’est probablement une analyse logique qui a mené à la création de ces traitements. En effet, les petits rongeurs (castor, ichneumon, belette, rat) étaient considérés comme particulièrement hostiles aux reptiles.

L’emploi abondant d’animaux en médecine est particulièrement caractéristique de l’Égypte.
Les excréments, la graisse ou encore les testicules d’hippopotame, animal emblématique du Nil,  étaient recherchés.
Pline l’Ancien le considère comme un animal-médecin (Histoire naturelle, VIII, 60). Il lui attribue l’invention de la saignée et son enseignement aux Romains dans le cadre de jeux célébrés à Rome, dans lesquels un hippopotame fut présenté pour la première fois en compagnie de cinq crocodiles du Nil. Hors du domaine médical, il signale également que son cuir pouvait être utilisé pour fabriquer des casques et des boucliers impénétrables tant qu’ils n’étaient pas mouillés.
Dans son livre XXVIII, 31, il dresse une liste de remèdes qui pouvaient être obtenus à partir de l’hippopotame : « La cendre de sa peau, appliquée avec de l'eau, guérit les tumeurs; sa graisse, les fièvres froides, ainsi que sa fiente en fumigation. Les dents du côté gauche guérissent les douleurs de dents : on scarifie les gencives avec. La peau du côte gauche du front appliquée sur les aines est anti-aphrodisiaque. La cendre de la même partie répare la perte des cheveux. On prend une drachme du testicule, dans de l'eau, contre les serpents ».
Le cuir, les excréments, le foie et le sang de tortue, la graisse et les excréments de crocodile sont également incorporés aux compositions thérapeutiques égyptiennes.

Dans le monde romain, c’est toujours Pline (Histoire naturelle, XXXII, 114) qui rapporte que les grenouilles pouvaient être étouffées dans de l’huile, selon une pratique similaire à l’étouffement du poulpe et du crabe dans le vin. Ces grenouilles pouvaient ensuite être portées en amulette. Quant à l’huile, elle était utilisée en onction contre la fièvre quarte (fièvre intermittente).
Dans son livre XXVIII, il aborde des usages du lait d’ânesse, qui passait pour effacer les rides du visage et maintenir la blancheur de la peau (50), mais aussi pour soigner les ulcérations de l’estomac (54). Quant au lait de chèvre, il pouvait être utilisé comme dentifrice (49), de même que le fiel de taureau ou encore les cendres frais de l’astragale (os du tarse) d’une chèvre ou d’un autre quadrupède élevé dans une ferme.
« Pour les douleurs du cou, on se frotte avec du beurre ou de la graisse d'ours ; pour le torticolis, avec le suif de bœuf, lequel est bon aussi contre les scrofules avec de l'huile. La douleur avec inflexibilité, qu'on nomme opisthotonos, est guérie avec de l'urine de chèvre instillée dans les oreilles, ou avec des excréments de chèvre appliqués avec des oignons. » (52) et « La toux se traite par le foie de loup dans du vin chaud, par le fiel d'ours avec addition de miel, par la cendre des sommités d'une corne de bœuf, par la salive de cheval bue pendant trois jours (mais on prétend que le cheval meurt), par le poumon de cerf, avec le gosier du même animal, séché à la fumée, puis broyé dans du miel et donné chaque jour en écligme (sorte de sirop) » (53) toujours selon le même auteur. Il est possible de multiplier ces exemples à l’infini.

Enfin, le corail, assimilé par les anciens aux pierres semi-précieuses car ils pensaient qu’il s’agissait d’une plante pétrifiée, il passait également pour avoir de nombreuses qualités, tant thérapeutiques que magiques. Il pouvait par exemple être porté en amulette. Et si celle-ci était gravée d’une tête de gorgone, elle protégeait son porteur des drogues, mais aussi de la foudre, des astres et des esprits méchants !


Conclusion

Certaines substances animales incorporées aux préparations pharmaceutiques antiques ne devaient guère avoir d’effet autre que placebo, comme cela est par exemple le cas des toiles d’araignée. Cependant, certaines autres avaient des vertus que les Anciens avaient identifiées et qui peuvent aujourd’hui être confirmées scientifiquement.



Pistes bibliographiques

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Pour compléter cet article, voir aussi Les médicaments issus de la nature, partie 1 : substances thérapeutiques issues de l'univers végétal



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